Cela ne se passe pas dans un quartier touristique de Paris, mais dans un arrondissement périphérique où les étrangers mettent rarement les pieds. Là où j'habite à Paris, le long d'une petite allée réservée aux résidants sont alignés une vingtaine d'ateliers traditionnels en forme de trapèze, au toit incliné et à la façade vitrée. Ces constructions en bois datent à peine du début du siècle dernier. Pendant des décennies, on y a fabriqué des pièces de métal. Puis, ils furent abandonnés dans les années 60 et 70. Il fallut attendre les années 80 pour qu'on songe à convertir ceux qui n'avaient pas été détruits en habitations et en bureaux.
Il n'y a pas là le moindre trésor architectural ni la moindre oeuvre d'art. Rien qui ait une véritable valeur patrimoniale, comme on dit dans les ministères. Simplement des constructions qui évoquent le passé encore récent de ces anciens quartiers ouvriers. Du genre de ceux que l'on peut entrevoir dans le vieux film de Jean Becker Casque d'or, qui se passe justement à Belleville. Et bien, ces petits ateliers sans valeur sont classés. Cela signifie qu'on ne peut en modifier l'apparence sans obtenir une autorisation formelle et qu'on ne peut évidemment pas les détruire.
Vous comprendrez ma surprise en apprenant que l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, pourrait être rasée, saccagée ou, ce qui revient au même, perdre son orgue Casavant, un des plus beaux en Amérique du Nord. Il ne s'agit pas ici d'un petit atelier de bric et de broc, mais d'un trésor culturel irremplaçable. Le hasard veut que je connaisse cette église. Je ne l'ai pas fréquentée, mais j'ai habité à quelques rues de là. C'est même dans ce quartier que, enfant, j'ai découvert toute une facette du Québec qui m'était inconnue.
À l'époque, le quartier était habité par une population ouvrière besogneuse et fière. Ça parlait fort et ça couraillait dans les ruelles. Sur Ontario, les enfants des familles pauvres qui n'avaient pas l'argent pour se faire livrer d'huile à chauffage allaient l'acheter au gallon dans de grosses machines distributrices. Par moins vingt degrés, ils ramenaient le précieux liquide dans leur voiturette d'enfant. Les mêmes qui servaient à livrer les commandes le samedi matin pour se faire un peu d'argent de poche. Mais, on ne parlait jamais de pauvreté. Le ton n'était jamais à l'atermoiement. On était bien trop occupé pour cela. La vie prenait toujours le dessus. L'église était déjà moins fréquentée, mais elle symbolisait la fierté de tout un quartier où l'on n'était pas moins heureux qu'ailleurs et certainement pas moins qu'aujourd'hui.
J'ai souvent arpenté la rue Adam, au coeur de ce magnifique village. À chacune de ses extrémités, deux belles grandes églises montent la garde, celle du Très-Saint-Nom-de-Jésus, à l'ouest, et Saint-Clément, à l'est. Il faut marcher longtemps pour découvrir toute la richesse de ces façades qui sont parmi les plus belles de Montréal. La noblesse du boulevard Morgan, par exemple qui donne sur l'ancien marché Maisonneuve. Le charme de ces grandes galeries en coin, comme celle de la Maison Trefflé-Bleau, qui rappellent la campagne.
À l'époque, Hochelaga-Maisonneuve comptait beaucoup de Gaspésiens. Bien avant eux, c'est dans des quartiers comme celui-là que les Canadiens français qui quittaient leurs terres avaient inventé une façon unique de vivre en ville. Ces triplex montréalais traditionnels, qui possèdent une cour arrière et un accès direct sur la rue, ont toujours symbolisé dans mon esprit nos anciennes seigneuries, qui offraient à leur manière un accès direct au fleuve et une terre en bois debout en amont. Belle continuité historique et démocratique qui semble malheureusement échapper à tant de nos technocrates.
Je suis toujours surpris du ton trop souvent méprisant et misérabiliste avec lequel on décrit Hochelaga-Maisonneuve dans les médias. Nul doute qu'on ne se permettrait pas la même désinvolture s'il était question d'une église d'Outremont ou de la haute ville de Québec. Il s'agit ici du patrimoine de ces petites gens qui ont érigé ces véritables cathédrales à la sueur de leur front.
Comparer l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus à un «chat de ruelle», comme l'a fait l'attachée de presse de la ministre Christine St-Pierre, n'est pas seulement une insulte au patrimoine religieux, c'est aussi l'expression du mépris dont son l'objet ces quartiers populaires. On en rirait si cet épisode n'était la reproduction, en pire, d'une scène des Invasions barbares. Rappelez-vous. Un vieux curé interprété par Gilles Pelletier fait visiter à des étrangers le sous-sol d'une église plein d'oeuvres d'art. «Autrement dit, tout cela ne vaut absolument rien», conclut-il sur un ton dépité après avoir demandé l'avis d'un expert. La réalité a dépassé la fiction!
En ces temps de morosité politique où Montréal s'anglicise à tout va, comment ne pas voir dans cette désinvolture une nouvelle façon de dénigrer notre culture et notre histoire? Ce n'est pas seulement l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus qu'il faut sauver, c'est toute cette mémoire dont il faut retrouver la fierté.
L'église des pauvres
En ces temps de morosité politique où Montréal s’anglicise à tout va, comment ne pas voir dans cette désinvolture une nouvelle façon de dénigrer notre culture et notre histoire ? Ce n’est pas seulement l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus qu’il faut sauver, c’est toute cette mémoire dont il faut retrouver la fierté.
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