Patrimoine - Toujours perdant

Nous ne savons pas préserver notre patrimoine, mais nous ne savons pas non plus créer celui de demain.

Patrimoine Québec



Pourquoi le Québec a-t-il choisi de perdre la mémoire? Aura-t-il un jour véritablement envie de la retrouver? La bataille de Pierre Moussard, cet amoureux du patrimoine, que nous relatons à la une du Devoir, est un autre exemple d'une confrontation entre deux visions du monde. Et c'est la culture, au sens large, qui en sort chaque fois perdante.
Calixa-Lavallée est le nouveau théâtre d'une incompréhension maintes fois racontée: d'un côté, le souci de ne pas oublier, de l'autre, celui de faire table rase en invoquant parfois des raisons économiques, parfois des dispositions réglementaires — mais chaque fois causant de mécanique et jamais de cet intangible qui se nomme valeurs, héritage, continuité...
Le petit village de la Montérégie n'est pourtant pas une banlieue champignon, née de nulle part au bord d'une autoroute. L'endroit a un passé et on devrait s'y réjouir que quelqu'un veuille en préserver les traces, de surcroît avec une certaine discrétion. Au lieu de quoi, on chipote pour une petite chapelle. En fera-t-on autant quand les tours de forage s'installeront, en quête du gaz de schiste dont le sous-sol de la région regorgerait? On peut plutôt croire que l'argument économique et l'appui du gouvernement à l'industrie gazière auront raison des protestations. Les amoureux des chapelles d'autrefois ne bénéficient pour leur part ni de l'un, ni de l'autre.
L'histoire de M. Moussard n'est pas unique: elle est une anecdote de plus qui témoigne de notre difficile rapport collectif à la culture prise dans son sens véritable, esthétique, ou d'avant-garde, plutôt que de divertissement.
Depuis plus de 30 ans, des groupes se sont constitués pour sauver notre patrimoine (l'un des plus connus, Héritage Montréal, est né en 1975), préserver des biens, des traditions, ou même des paysages (la bataille de Grondines pour que le Saint-Laurent ne soit pas défiguré par des pylônes date de 1985)... On a expliqué, analysé, comparé avec l'Europe ou nos voisins du Sud.
Et pourtant, nous en sommes quasiment au même point qu'au milieu du siècle dernier, quand les Américains écumaient nos campagnes en quête d'antiquités dont les Québécois se débarrassaient en vrac et à vil prix. On continue soit de détruire, soit de transformer massivement en condos églises ou couvents désertés, il n'y a jamais d'argent disponible que ce soit pour sauver le joyau qu'est un orgue Casavant ou pour récupérer des archives volées, jamais non plus le souci, sauf en des cercles restreints, de mettre en valeur ce qui nous vient du passé.
Si encore ce grand balayage se justifiait par une envie d'audace: miser sur ce que l'art ou l'architecture font de mieux aujourd'hui. Mais tout architecte qui oeuvre ici le dira: la seule obsession, c'est le «pas cher». La joliesse, l'innovation, le superflu seront sans remords sacrifiés à cette aune. Quant à l'art public, il suffit qu'il déroute un peu pour être cloué au pilori.
Nous ne savons pas préserver notre patrimoine, mais nous ne savons pas non plus créer celui de demain.
Résultat: nos campagnes s'enlaidissent, nos villes sont sans grand attrait et peu de collectionneurs privés s'imposent de conserver nos trésors. Qui s'étonnera qu'à Calixa-Lavallée, ce soit un Français qui ait compris mieux que les autres l'importance de vieux bénitiers et de coeurs saignants?
La petite bataille de M. Moussard ne sera pas citée aux audiences sur le projet de loi 82, sur le patrimoine culturel, qui se tiendront à Québec à la mi-janvier. Il sera déjà beau qu'un cadre législatif cohérent en ressorte pour protéger ce qui doit impérativement l'être.
Mais le problème au Québec est plus fondamental. Il tient dans ce cri du coeur lancé par l'ethnologue Robert Bouthilier dans un autre article que nous publions aujourd'hui sur la protection du patrimoine immatériel: «Tu ne peux pas décréter par une loi que les gens chantent!» Notre passé est riche et pourtant, dans l'indifférence générale, nos traditions se meurent ou sont remplacées par celles qui sont associées à la commercialisation, comme le notait Lise Payette il y a quelques jours, ou le texte ci-contre en page Idées à propos de l'omniprésence du père Noël.
Il est curieux de le dire à ce moment de l'année que l'on dit marqué par notre folklore, mais le fait est qu'on peut se demander si les Québécois ont envie de leur propre culture. Il semble plutôt que son simulacre — quelques vieilles églises ouvertes, quelques chansons traditionnelles enregistrées par une vedette — leur suffit. Et que lorsque, dans la vie de leur village ou leur quartier, un geste de sauvegarde doit être posé, leur réponse est toujours la même: fermez.


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