Interculturalisme 2011

L'avenir culturel de la nation québécoise

L'interculturalisme, comme modèle de pluralisme, tend à renforcer la nation québécoise, et non à l'affaiblir

Symposium sur l’interculturalisme



L’interculturalisme met l’accent sur l’intégration, les interactions, les rapprochements, et sur la promotion d’une culture commune qui se nourrit très largement de la culture majoritaire.

: Jacques Nadeau - Le Devoir


Il importe de dissiper un malentendu à propos de l'interculturalisme. Pour certains, parce qu'il adhère à une vision pluraliste, ce modèle porterait surtout attention à l'immigration et aux minorités ethnoculturelles; il négligerait ainsi la culture de la majorité francophone. Cette perception est inexacte. Je veux le montrer en examinant comment se présente l'avenir du Québec francophone à la lumière de l'interculturalisme sous les angles des valeurs, de l'identité, de la mémoire et de la langue.
Les valeurs
Depuis quelques années, le discours courant met principalement en relief trois valeurs dites fondamentales, auxquelles les Québécois sont particulièrement attachés, soit la langue française, la laïcité et l'égalité hommes-femmes. Il faut y ajouter la non-violence (les statistiques démontrent que le Québec est une société remarquablement non violente), le respect des orientations sexuelles, et deux valeurs en apparence opposées mais qui ont toujours été conjuguées dans le passé québécois: la solidarité (exprimée notamment dans la crainte des divisions ou de la fragmentation, dans la recherche de l'intégration) et la liberté individuelle. Dans l'esprit de l'interculturalisme, ces valeurs ne doivent jamais devenir objets de compromis. Toute demande d'accommodement portant atteinte à l'une ou l'autre de ces valeurs doit normalement être rejetée.
L'identité
Il est légitime pour la culture majoritaire de vouloir préserver les éléments essentiels de son identité à cause de la contribution substantielle qu'elle apporte au fondement symbolique et institutionnel de la société québécoise. L'interculturalisme reconnaît cette légitimité et, pour cette raison, il fait place à divers éléments de préséance ad hoc en faveur de la culture majoritaire. En effet, le pluralisme (à ne pas confondre avec la pluralité) doit être appliqué avec flexibilité et on doit se garder d'en projeter une vision désincarnée.
Dans certains contextes, il est légitime et même nécessaire de donner priorité à des considérations d'ordre identitaire ou historique plutôt que strictement légal. Même les nations qui se disent «civiques» le font; aucun État-nation, aucune société ne repose que sur des principes ou règles juridiques abstraites. Au Québec, la loi 101 relève en grande partie de cette logique, tout comme l'histoire nationale qui s'aligne principalement sur le parcours de la culture majoritaire. De même, à une autre échelle, au nom du patrimoine ou par égard pour l'ancienneté d'une tradition, la neutralité de l'État vis-à-vis des peut admettre certains assouplissements en faveur du christianisme (on pense notamment aux nombreux symboles chrétiens qui parsèment le paysage québécois).
Cependant, cette préséance ne peut être instituée a priori ou formellement (dans une charte, par exemple), car cela créerait deux classes de citoyens. Le recours à cette préséance doit demeurer ad hoc, opérer uniquement à la lumière de certains contextes et s'appuyer sur des motifs supérieurs. Enfin, tout comme l'argument patrimonial, son application doit être strictement encadrée de façon à ne pas en étendre indûment la portée.
La mémoire nationale
Certains craignent que le respect de la diversité inhérent au pluralisme force les Québécois francophones à renoncer à leur mémoire ou tout au moins à la diluer sous prétexte qu'elle ne peut pas être imposée aux autres Québécois. Il n'en est rien, c'est même le contraire. L'essentiel de ce passé met en scène la lutte d'une population francophone pour assurer sa survie et son développement dans un environnement défavorable. Il met aussi en scène la lutte d'un peuple pour s'affranchir des dominations qui ont pesé sur son devenir en tant que nation.
À partir de ces deux exemples (il y en a d'autres), on voit les dimensions universelles qui se dégagent de cette histoire, dimensions qui sont au premier chef accessibles et significatives aux yeux de tous les Québécois. Le pluralisme invite à une conception et un enseignement de l'histoire nationale qui lui ouvre des horizons et une audience sans précédent.
La langue française
La mondialisation, dont l'influence ne va que s'accroître durant les prochaines décennies, représente une menace peut-être sans précédent pour le français et pour la francophonie québécoise. Le défi est double: d'une part, assurer l'avenir du français, et d'autre part, nous affirmer dans la mondialisation. Pour l'instant, ces deux impératifs sont en partie concurrents. Par exemple, l'usage croissant de l'anglais, inévitable, semble devoir se faire aux dépens du français. Nous devrons trouver les moyens de les conjuguer. En ce sens, il faudra sans doute, dans les décennies qui viennent, réinventer la francophonie québécoise, comme nous l'avons fait entre 1960 et 1980 à travers les mutations de la Révolution tranquille. Mais à court terme, il faudra veiller de près à ce que les mesures en faveur de l'apprentissage de l'anglais s'accompagnent d'autres mesures visant à renforcer le français.
À cet égard, l'interculturalisme préconise une politique énergique de francisation des immigrants. Mais il faut plus que cela. Devant le défi de la mondialisation, le Québec devra se montrer le plus uni, le plus fort possible. D'où l'accent que met l'interculturalisme sur l'intégration, les interactions, les rapprochements, et sur la promotion d'une culture commune qui se nourrit très largement de la culture majoritaire et affirme haut et fort le statut fondamental de la langue française au Québec. D'où aussi, dans la gestion de la diversité (notamment la diversité religieuse), une recherche d'équilibres qui évite autant que possible de creuser des divisions durables entre Québécois. Ici aussi, on voit que l'interculturalisme, comme modèle de pluralisme, tend à renforcer la nation québécoise et non à l'affaiblir.
Deux grandes inconnues
Au-delà de ces propositions, deux inconnues pèsent sur l'avenir de la francophonie québécoise. La première concerne l'évolution de l'ensemble du Québec. La force d'une langue tient au dynamisme de la société qui la porte. Nous l'avons bien vu dans les années 1960 et 1970. Ce qui a rendu le français attrayant, c'est l'effervescence, l'énergie dont l'ensemble de notre société faisait preuve. Face à la mondialisation, on ne peut donc penser l'avenir de la langue sans penser (repenser?) également celui de notre société.
L'autre inconnue concerne les deux piliers de l'imaginaire francophone qui ont soutenu et propulsé cette société depuis le XVIIIe siècle. C'est d'abord le sentiment d'être sur ce continent une minorité fragile dont la survie exige une lutte constante. C'est ensuite la mémoire des dominations subies (de l'intérieur comme de l'extérieur), laquelle a toujours nourri un désir de développement collectif, d'émancipation nationale. Comment ces deux ressorts de nos élans collectifs, déjà confrontés à divers obstacles, seront-ils affectés par la mondialisation?
Ces remarques veulent montrer comment l'interculturalisme peut servir le Québec francophone. Elles montrent aussi que nos débats sur la gestion de la diversité doivent aboutir à une solution, car une autre tâche urgente nous attend. Notre insertion et notre affirmation dans la mondialisation n'engagent rien de moins que notre avenir comme nation francophone. Il presse de nous donner une marche à suivre et de nous mobiliser en conséquence.
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Gérard Bouchard - Historien, sociologue et professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi

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Professeur, département des sciences humaines,
Université du Québec à Chicoutimi

Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles





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