Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a déposé hier son projet de loi pour créer une commission nationale des valeurs mobilières. Son homologue québécois, Raymond Bachand, s’est empressé de dénoncer ce qu’il considère être une intrusion du gouvernement central dans les affaires des provinces.
Photo : Agence Reuters Blair Gable
François Desjardins - Pendant que le gouvernement Harper en était hier à présenter son projet de loi sur une commission nationale des valeurs mobilières qui remplacerait ni plus ni moins les agences provinciales par un régime canadien, Québec évoquait rien de moins qu'une «invasion» du fédéral dans un de ses champs de compétence.
Insistant sur ce qu'il dit être un besoin pressant d'unifier l'encadrement des marchés financiers, le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a levé le rideau sur un projet devenu pour lui une affaire personnelle. D'ici 2012, il donnerait naissance à l'Autorité canadienne de réglementation des valeurs mobilières (ACRVM) et au Tribunal canadien des valeurs mobilières.
Tel que prévu, Ottawa fera de l'ACRVM un régime auquel les provinces pourront adhérer de façon volontaire et qui sera entièrement autofinancé par un système de cotisations auprès de l'industrie financière. Si Québec n'y adhère pas, les entreprises d'ici continueront d'être encadrées par l'Autorité des marchés financiers (AMF).
La proposition fédérale met la table à un nouvel affrontement politique, car, en vertu de l'article 92 de la Constitution canadienne, le domaine des valeurs mobilières est de compétence provinciale. Le ministre Flaherty est cependant convaincu que les juges de la Cour suprême, auxquels il devait envoyer le projet de loi hier, lui donneront raison.
«C'est un système volontaire, a affirmé le ministre Flaherty en conférence de presse à Ottawa. Quelques provinces et territoires ont décidé de participer avec le gouvernement fédéral à ce sujet. J'espère que le gouvernement du Québec va décider la même chose à l'avenir.»
M. Flaherty, qui voit en l'ACRVM une façon de mieux encadrer les marchés et de protéger les investisseurs, a estimé que la Cour pourra se prononcer dans un délai de 10 à 18 mois et que la nouvelle commission lancera ses opérations vers 2012-2013. Un bureau de transition est déjà sur pied à Toronto et à Vancouver, deux villes qui voudraient accueillir le bureau central.
Ses détracteurs affirment que le régime actuel, constitué de 13 agences provinciales et territoriales qui se coordonnent entre elles, est déjà très bien classé dans le monde.
De son côté, Québec, qui voit d'un très mauvais oeil ce geste fédéral, a déjà demandé à la Cour d'appel, plus haut tribunal de la province, de donner son propre avis sur la question. L'audition est prévue en janvier 2011. L'Alberta, qui s'oppose elle aussi au projet fédéral, a fait la même chose. Il est déjà arrivé que la Cour suprême et la Cour d'appel d'une province se prononcent sur le même sujet de façon assez rapprochée dans le temps.
«Par son entêtement à ne pas respecter les compétences provinciales en matière de propriété et de droits civils, le gouvernement fédéral est en train de diviser le pays», a dit le ministre des Finances, Raymond Bachand, en parlant aussi d'«invasion». «Il faut miser sur la coopération entre les provinces et non sur un système contrôlé par le gouvernement fédéral.»
Le premier ministre Jean Charest a lui aussi fait valoir qu'il s'agit d'une «compétence qui relève des provinces» et a insisté sur le fait que l'actuel régime de coordination entre les provinces, appelé régime de passeport, «fonctionne bien».
M. Charest a notamment lancé une flèche au ministre Flaherty, qui a présenté son projet en faisant référence aux scandales Earl Jones et Vincent Lacroix. «Prétendre qu'un événement comme Earl Jones ne se serait pas produit s'il y avait eu une commission nationale, c'est complètement à côté de la plaque», a dit le premier ministre.
Ottawa a indiqué que, s'il a soumis son projet à la Cour suprême pour un avis constitutionnel, c'est pour «offrir une certitude juridique aux provinces, aux territoires et aux participants du marché». La question précise qui a été soumise aux juges est celle-ci: «La proposition concernant une loi canadienne intitulée Loi sur les valeurs mobilières relève-t-elle de la compétence du Parlement du Canada?»
Le projet de loi du ministre Flaherty ajoute que «les bureaux de l'ACRVM répartis dans tout le Canada seraient au départ dotés de membres du personnel des organismes de réglementation provinciaux actuels afin d'assurer la continuité d'une part de l'expertise en matière de réglementation et d'autre part du service aux niveaux régional et local».
Au cours d'un entretien téléphonique, Jean St-Gelais, qui dirige l'Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec, a dit que «nos pires craintes» semblent se concrétiser. «C'est un projet de loi de base qui ne contient aucune surprise, mais il est curieusement silencieux sur le sort réservé aux provinces qui refuseront de participer.» L'AMF, a-t-il dit, ne veut pas devenir «un gros bureau régional qui fait du "rubber-stamping"».
À Ottawa, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a estimé que le projet fédéral est «totalement inadmissible».
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Avec la collaboration de Robert Dutrisac et Hélène Buzzetti
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