Pierre Falardeau est un cinéaste de talent qui se fait couper les vivres et qui se voit empêcher de continuer son oeuvre parce qu’on la trouve trop politiquement chargée. Patrick Bourgeois anime un journal et une station de radio voués à la cause indépendantiste. Tous les deux, bien avant l’affaire 1759, ont souvent été accusés de poursuivre une action contraire à la tranquillité. À notre tranquillité personnelle, mais aussi à quelque tranquillité universelle, le Canada affirmant être le pays qui a établi cette condition mieux que partout ailleurs.
Le festival commémoratif prévu avait de quoi susciter un commencement de vertige. Devant la violence, nous nous disions cependant: ne nous laissons pas tirer de ce côté-là.
Mais pour rester dans la tranquillité, il fallait laisser passer sans réfléchir, sans chercher à distinguer. Et on avait vu venir bien avant. Depuis plus de vingt ans, des oeuvres bien canadiennes, des livres, des émissions télé nous disent que la Conquête est une forme de mensonge, nullement une défaite mais une rencontre harmonieuse des civilisations.
On a justifié ce conditionnement, nombre de randonnées oratoires de la part d’intellos canadiens, expliquant que l’on était dans un pays libre et que l’esprit de liberté devait beaucoup à Wolfe. Avec cela en arrière-plan, il était vain de considérer la reconstitution comme un innocent théâtre d’été. Les braves figurants qui voulaient parfois seulement se vêtir, s’armer jusqu’aux dents à la mode du temps, ont péché par aveuglement volontaire. On ne pouvait ignorer que toute la bataille reconstituée renvoyait de façon humiliante aux principes défendus par le Canada pour renverser totalement la signification de cette guerre coloniale.
À force de répétition, la version canadienne se mettait à avoir raison. Déjà dans les documents entourant le 400 ème, le Fédéral avait biffé le mot “Conquête”, la ville de Quebec, terrain de rencontre leur paraissant une vision plus juste du passé. Michael Ignatieff en a remis dernièrement, ne voyant dans la bienheureuse expédition british que l’occasion offerte aux francos de découvrir la démocratie, celle-ci étant une invention anglo-saxonne.
C’est toute cette direction soutenue par les activistes canadiens qui est mauvaise. Dans les programmes entourant l’événement, on reconnaissait bien les idées de la petite brochure. L’affiche montrant Montcalm et Wolfe tout sourire, se serrant la main, venait coiffer la bonne version canadienne des faits.
Le journal La Presse qui trouve que la Conquête, dans son appellation même, menace la religion de l’Etat canadien a publié en page éditoriale un texte d’un professeur d’Histoire en guise de rectification. Grosso modo, il nous dit que le peuple a peut-être hésité un peu devant les bonnes choses du nouveau régime mais qu’il a mouillé son doigt au vent et qu’il a bien compris que le printemps arriverait à son quatrième top avec le nouveau régime.
Pas de servitudes donc, rien d’imposé, seulement un régime qui se recommande et un bon peuple qui l’endosse. Pour le reste, il y a eu des coups de fusil, pas longtemps, quinze minutes, vingt, tout au plus. Ne dramatisons rien. On se préparait à fêter la victoire de la démocratie et la communion des peuples libérés du régime obscurantiste colonial français.
Et tout cela dans le calme! Quelle erreur on avait fait dans le passé de marquer ce jour d’une pierre noire! Vite, critiquons Falardeau et Bourgeois! Ils ont refusé de boire le verre que l’amitié nous tend! Les bars de la vieille ville fonctionneront moins bien à cause d’eux cet été.
On accuse Bourgeois et Falardeau d’avoir boudé l’affluence touristique organisée par des agences de voyages qui invitaient à suivre les pas de Wolfe sur la route victorieuse qui le mena à la défaite des Français. On les accuse de ne pas s’être dissociés assez clairement du recours à la violence.
Bizarre retournement pour deux hommes qui ont situé le danger qu’entraînait l’événement. Ce n’est pas eux qu’il faut blâmer. Ce sont ceux, les organisateurs, qui dans une cadre festif voulaient saluer par des cris de joie une bonne “reconstitution”. C’est beau la paix sociale, c’est beau la modération commune, mais elle doit bien avoir ses raisons.
Au lieu de blâmer Falardeau et Bourgeois, on devrait voir le tissu organique qui relie les événements et qui risque d’être précurseur de violences. Montréal s’anglicise. Le Québec se défend d’avoir peur. On se dit qu’après bien des détours, des bifurcations, la vie nous mènera bien où elle doit nous mener.
L’anglicisation de Montréal, l’annexion du Québec ratifié par neuf provinces, des menaces de partition, la célébration de la Conquête, on doit s’attendre à ce que ces évènements apparaissent comme des phases préparatoires. Si on refuse d’y voir un danger et que l’on se contente d’y voir le signe de notre maturité, de notre modération, il se développera par contrecoups des zones d’individus rebelles.
On pourra accuser ces individus rebelles d’extrémisme, dire que leurs actes ont un caractère de vengeance personnelle réprouvée par l’ensemble de la population. Ils seront néanmoins les marqueurs sociaux d’une rétrogradation progressive de la nation québécoise au rang d’ethnie régionale.
Que l’on cesse de lancer la pierre à ceux qui nous avertissent du danger. Plus nous serons dans l’ambiguïté, un glacis québéco-canadien en voie d’assimilation, plus des lignes de fracture exploseront. Avant d’entrer pleinement dans le giron canadien, fatalement, le Québec connaitra de la colère, de la confusion, un sentiment de reniement fondamental. Là prendront source des réactions qui, malheureusement, devraient rappeler celles qui ont secoué la péninsule acadienne.
André Savard
L'affaire du Québécois
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3 commentaires
Jean-François-le-Québécois Répondre
23 février 2009Puisqu'on parle de Falardeau, j'ai bien envie de citer les paroles de l'un des personnages de son puissant film, «15 février 1839» (le prêtre incarné par Julien Poulin): «Pour les lâches, la liberté ça sera toujours extrémiste!».
C'est brûlant d'actualité, et de vérité!
Raymond Poulin Répondre
23 février 2009Texte éclairant à plus d'un égard. Il devrait parvenir de toute urgence à MMe Marois, qui ne semble pas avoir compris plus loin que la rectitude politique.
Archives de Vigile Répondre
23 février 2009Merci M. Savard pour ce texte. Nos petites lâchetés nous acculent au mur qui ne nous laissera que deux choix : la disparition ou la violence.
Guy Le Sieur
Vive la République de l'Amérique française