SCÉNARIOS D’EXPLOITATION

Jusqu’à 6500 puits de pétrole à Anticosti

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Faudra-t-il autant de puits que de chevreuils sur Anticosti?

De 3900 à 6500 puits pourraient être forés et fracturés sur Anticosti au cours des prochaines décennies, si l’exploitation du pétrole de schiste est autorisée sur cette île sise en plein coeur du Saint-Laurent. C’est ce que prévoient les scénarios « hypothétiques » produits par le gouvernement du Québec et obtenus par Le Devoir.

Dans le cadre de l’évaluation environnementale stratégique menée pour la plus grande île du Québec, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a élaboré deux « scénarios » pour l’exploitation des hypothétiques ressources fossiles du sous-sol. Tous deux font démarrer la production commerciale de pétrole en 2020.

Un scénario « Plus » évalue que l’exploitation s’échelonnerait sur une période de plus de 75 ans. Selon cet « horizon de déploiement », pas moins de 6500 puits seraient forés et fracturés sur Anticosti. Pour cela, un total de 712 plateformes de forage seraient « aménagées ». « En période de croisière », 15 nouvelles plateformes feraient leur apparition sur l’île chaque année. Comme chacune peut permettre de forer de 5 à 10 puits, 150 puits pourraient être forés sur une base annuelle.

Chaque plateforme nécessite de déblayer et de niveler une zone de 120 mètres carrés. Mais sous terre, les forages horizontaux atteindraient une longueur de 1600 mètres chacun. Pour chaque plateforme, la superficie souterraine couverte par les forages une fois les opérations de fracturation complétées serait ainsi de 4 km2. Avec le scénario prévoyant l’aménagement de 712 plateformes, la superficie souterraine couverte atteindrait donc 2848 km2. Pas moins de 35 % du sous-sol d’Anticosti serait ainsi affecté par les opérations de fracturation.

Le MERN a également élaboré un scénario « Moins » qui prévoit le forage de 3900 puits dans le cadre d’une « production » qui s’échelonnerait sur une période de 56 ans. Celui-ci impliquerait l’aménagement de 445 plateformes. Dans ce cas, 22,5 % du sous-sol de l’île serait affecté par la fracturation.

3850 puits en même temps

Pour les deux scénarios, on ne précise pas les volumes de pétrole qui seraient extraits. On évalue toutefois que le pic d’exploitation serait atteint à la 29e année, soit en 2049. À ce moment, 385 plateformes seraient en production, ce qui pourrait signifier un total de 3850 puits.

Le MERN affirme par ailleurs que la « restauration » des sites de forages débuterait à partir de la 26e année d’exploitation pétrolière. On estime en effet que les puits auraient « une durée de vie » de 25 ans. Passée cette période, ils pourraient donc être fermés. « L’équipement est démantelé, le site est reboisé et restauré à son état initial », précise le gouvernement dans le document présentant les scénarios.

Fait étonnant, l’illustration produite par le MERN pour déterminer la « zone couverte » par les deux scénarios ne comprend pas toute la superficie où se déroulent présentement les travaux d’exploration financés à majorité par le gouvernement du Québec. En fait, elle en exclut plusieurs portions. Mais les projections évoquent une exploitation de zones dont les permis sont présentement détenus par les entreprises Junex et Transamerican Energy. Dans les deux cas, aucun projet d’exploration n’est en cours.

Le document précise en outre que l’évaluation environnementale stratégique menée sur Anticosti doit être complétée d’ici la « fin de 2015 ». Cela signifie que le rapport final ne tiendra pas compte des opérations de fracturation qui doivent être menées dans le cadre des travaux d’exploration en cours. Comme les 18 forages verticaux prévus en 2014 ont pris du retard, ils seront terminés seulement cette année. Ce n’est donc qu’en 2016 que les forages avec fracturation seront menés.

Les scénarios élaborés par le MERN ont été produits dans le cadre du plan d’acquisition de connaissances additionnelles de l’évaluation environnementale stratégique. Les scénarios doivent d’ailleurs servir dans le cadre d’études sur les « impacts » sociaux, environnementaux et économiques.

L’une d’elles, produite ces jours-ci par la firme WSP Canada au coût de 210 820 $, doit servir à « estimer et décrire » les infrastructures qui seraient nécessaires pour exploiter le pétrole de l’île d’Anticosti. Le document doit évoquer la construction d’un réseau de pipelines et d’un port pétrolier, mais aussi les marchés d’exportation pour le pétrole.

Aventure coûteuse

Selon les calculs de l’ingénieur en géologie Marc Durand, l’exploitation de l’ensemble du territoire d’Anticosti nécessiterait le forage de plus de 12 000 puits. Si ses évaluations ont fait l’objet de critiques, il faut souligner que le scénario « Plus » du MERN évoque le forage de 6500 puits pour atteindre le schiste de 35 % du sous-sol de l’île. En transposant ce scénario à l’ensemble du territoire, on dépasserait les prévisions de M. Durand.

Mais quel que soit le scénario d’exploitation retenu, l’ingénieur en géologie doute de la rentabilité de l’aventure pétrolière sur Anticosti, qu’il qualifie de « coûteuse illusion ». Marc Durand estime ainsi que chaque puits qui serait foré sur Anticosti pourrait coûter jusqu’à 10 millions de dollars. Ce montant s’apparente à ce qui existe dans d’autres régions déjà pourvues d’infrastructures qui sont totalement absentes sur l’île. Soulignant que seulement de 1 % à 2 % de la ressource pétrolière serait extraite du sous-sol, il juge que les coûts de l’exploitation ne seraient pas compensés. Il chiffre le manque à gagner à plusieurs milliards de dollars.

Aucun gisement pétrolier n’a jusqu’ici été découvert sur Anticosti, malgré des décennies de recherche. Selon une étude préliminaire menée par une firme américaine, le sous-sol de l’île pourrait renfermer quelque 40 milliards de barils.

Le responsable de la campagne Climat de Greenpeace, Patrick Bonin, estime pour sa part que le Québec « tournerait » le dos à la lutte contre les changements climatiques en se lançant dans l’exploitation. Celle-ci pourrait s’échelonner jusqu’en 2095, précise le scénario « Plus » du MERN.

Selon Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), l’humanité doit se fixer un objectif de « zéro » émissions de gaz à effet de serre en 2100 pour éviter les pires effets des bouleversements climatiques.


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