RÉGIS SOUBROUILLARD - MARIANNE Journaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales *** Après les référendums sur les traités de Nice en 2001 et Lisbonne 2008, tous deux rejetés, l'Irlande a encore décidé de soumettre au vote du peuple l'adoption du pacte de stabilité. Même si la mise en oeuvre du pacte de stabilité ne dépend pas de Dublin, la décision a été accueillie avec un certain scepticisme par les autres dirigeants de l'Union. Une victoire du NON entamerait largement la légitimité du dispositif à un moment où Bruxelles profite de la crise pour s'arroger bon nombre de nouveaux pouvoirs exécutifs. Le sommet des dirigeants européens prévu jeudi soir à Bruxelles devait être l'occasion de célébrer le pacte de stabilité budgétaire exigé par l'Allemagne en échange de sa solidarité financière dans la zone euro. Dublin pourrait bien gâcher la fête. La décision du gouvernement irlandais de passer par la voie référendaire pour ratifier le pacte budgétaire a été très fraîchement accueillie. C’est la troisième fois que Dublin fait le coup sur les traités de Nice en 2001 et Lisbonne en 2008, tous deux rejetés par la population, avant d’être soumis chacun une deuxième fois au référendum pour être approuvés. Bon nombre de dirigeants européens qui ont fait de l’appel au peuple l’alpha et l’oméga de leur légitimité sur le plan de la politique intérieure sont beaucoup plus prudents dès qu’il s’agit des questions européennes. Pourtant, les dirigeants européens ont largement profité de la crise pour s'arroger de nouveaux pouvoirs exécutifs et de contrôle qui auraient largement mérité une consultation populaire. RIEN DE NOUVEAU DANS LE PACTE DE STABILITÉ Les dirigeants Irlandais semblent avoir une toute autre conception de la politique. Tout ce qui touche à la souveraineté nationale doit être soumis à référendum. Le premier ministre irlandais, Enda Kenny, a ainsi fait savoir qu’il organiserait un référendum sur le traité fiscal qu’il signera lors du Conseil européen de cette semaine. Il se dit « confiant » dans le vote oui. Le principal parti d'opposition, le Fianna Fail (centre), avait demandé que la population soit consultée « sur tout changement significatif de notre situation en Europe ». Le Sinn Fein, parti nationaliste de gauche, avait également jugé « impératif que la population ait son mot à dire ». Bien que risqué pour le gouvernement en place le pari a été tenu. Selon un sondage publié fin janvier, près des trois quarts des Irlandais souhaitaient une consultation populaire sur le pacte. 40% avaient alors affirmé qu'ils voteraient pour, 36% contre, 24% se disant indécis, selon l'enquête du Sunday Business Post/Red C. Si la date du référendum n’a pas été fixée, la campagne a commencé : en cas de vote pour le NON, la ministre des affaires étrangères a déjà prévenu qu’il serait difficile pour l’Irlande de se maintenir dans la zone euro et de bénéficier des fonds de secours prévus par le MES. «Je crois fermement que l'intérêt de l'Irlande est que ce traité soit approuvé», a précisé le chef du gouvernement qui entend présenter un refus comme un «suicide économique». Le principal argument de l’opposition est que le le pacte budgétaire ne comporte rien ou presque qui ne soit déjà dans le droit irlandais, sinon l’inscription de ces règles dans la constitution…qui explique le passage par la voie référendaire. DES FUITES DE DOCUMENTS DE LA TROÏKA AU BUNDESTAG ! En Allemagne, le pays le plus sollicité financièrement lors de cette crise de la dette, le projet de référendum irlandais suscite de nombreux commentaires. « Encore les Irlandais ! », s'énervait ainsi le Spiegel-Online en imaginant la réaction à la chancellerie berlinoise, où Angela Merkel doit s'inquiéter de son influence sur la prise de décision à Bruxelles. C’était avant que n’éclate une polémique qui pourrait bien influencer le vote irlandais. Le journal The Irish Times a dévoilé dans son édition du 1er mars que des documents de l’Union Européenne et du FMI sur l’état de l’économie irlandaise avaient fuité au Bundestag. Le Ministre des finances Irlandais a fait part de ses « vives préoccupations » à Olli Rehn, le commissaire européen en charge des affaires économique. Le document de la Commission européenne dévoile que la troïka UE-FMI avait dans un premier temps rejeté le plan de rigueur irlandais jugé « pas assez ambitieux » et que l’Irlande devrait présenter en 2012 un « mini budget ». L’affaire embarrasse d’autant plus le gouvernement que c’est la seconde fois que des documents de la troïka UE-FMI fuitent au Bundestag. Le leader indépendant Shane Ross a ainsi déclaré que la répétition de ces fuites prouvaient que la politique économique et la « politique d'austérité ont été dictées et décidées et révélées ailleurs ». LA COMMISSION PRÉOCCUPPÉE PAR CES FUITES Le vice-premier Ministre Eamon Gilmore a dû s’expliquer devant la chambre basse du parlement irlandais jurant que l’impact du document avait été surestimé avant d’assurer les parlementaires que « l’Irlande ne négociait pas les droits consitutionnels du peuple irlandais avec qui que ce soit ». Même la commission, consciente des conséquences négatives d’une telle polémique, a fait profil bas se déclarant « profondément préoccupée par la fuite d’un tel rapport ». Si bon nombre d'éditorialistes et de dirigeants tentent de se rassurer en minimisant la portée d'un tel référendum qui ne serait pas de nature à bloquer l'application du pacte de stabilité, une victoire du NON entamerait malgré tout largement sa légitimité auprès des peuples. D'où la prudence de certains. Ainsi même Jean-Claude Juncker a estimé qu'il fallait « respecter le choix de l'Irlande. Il n'y a pas à faire de remarque désobligeante », admettant toutefois que cette annonce n'était « pas de nature à stabiliser dans son ensemble la zone euro ». Un référendum sur la stabilité déstabilisant. Encore un paradoxe européen.
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