Le gaz de schiste reste un sujet explosif pour le gouvernement. Lundi 5 novembre, Matignon a annoncé qu'il ne retiendrait pas, parmi les mesures destinées à relancer la compétitivité, la reprise des recherches sur l'exploitation des gaz de schiste, préconisée dans le rapport du commissaire à l'investissement, Louis Gallois.
"Cette proposition n'est pas retenue, la ligne édictée par le président de la République lors de la conférence environnementale reste inchangée", précisent les services du premier ministre, alors que Jean-Marc Ayrault doit présenter, mardi, les premières mesures pour relancer la compétitivité.
Dans son rapport sur la compétitivité remis lundi, Louis Gallois a en effet recommandé de "poursuivre la recherche sur les techniques d'exploitation des gaz de schiste". "La France pourrait d'ailleurs prendre l'initiative de proposer avec l'Allemagne à ses partenaires européens un programme sur ce sujet", ajoute le rapport.
Et de justifier, exemple à l'appui : "L'exploitation du gaz de schiste soutient l'amorce de réindustrialisation constatée aux Etats-Unis (le gaz y est désormais deux fois et demi moins cher qu'en Europe) et réduit la pression sur sa balance commerciale de manière très significative."
"PAS ÉCARTÉ POUR L'ÉTERNITÉ"
Mais, en France, l'exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels est jugée trop polluante. Lors de la conférence environnementale, le 15 septembre, François Hollande avait ainsi fermé la porte à l'exploitation du gaz de schiste. "Dans l'état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l'exploitation des gaz et huiles de schiste par fracturation hydraulique, seule technique aujourd'hui connue, est exempte de risques lourds pour la santé et l'environnement", avait déclaré le chef de l'Etat. Il avait alors annoncé le rejet, pendant toute la durée du quinquennat, des demandes de permis soupçonnés de viser l'exploitation de cet hydrocarbure non conventionnel.
Lors des premières fuites sur le rapport, la presse avait déjà évoqué une "conversation explosive" à ce sujet entre l'ex-président d'EADS et la ministre de l'écologie et de l'énergie, Delphine Batho. D'après Paris-Match, la ministre s'était mise "en colère" parce que M. Gallois aurait défendu "la nécessité d'exploiter les gaz de schiste pour l'Hexagone, qui dispose de près de la moitié des ressources potentielles en Europe de l'Ouest".
Pourtant, si la position de Matignon semble tranchée, le dossier continue en réalité de diviser la majorité de gauche. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, a ainsi indiqué, lundi, sur RTL, vouloir "réfléchir" à l'exploitation du gaz de schiste, qui "sera certainement sur la table", même si l'exécutif s'oppose à la seule technique d'extraction actuellement disponible, la fracturation hydraulique, jugée trop polluante. Cette technique consiste à briser les roches souterraines contenant le gaz en injectant sous très forte pression un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques.
"Aucun d'entre nous ne pense que le gaz de schiste est quelque chose qu'il faut pour l'éternité écarter, a renchéri Alain Vidalies, ministre (PS) délégué aux relations avec le Parlement, interrogé au Talk Orange-Le Figaro sur les déclarations de son collègue. Ce qu'il a dit, c'est qu'aujourd'hui on ne sait pas faire autrement que la fracturation hydraulique, donc on ne le fait pas."
"J'ai des industriels qui sont dans ma circonscription qui lisent ces procédures, il font beaucoup de recherches en ce moment. Ils sont bien conscients des dégâts aux Etats-Unis et du problème environnemental, ajoute M. Vidalies. En même temps, il y a cette richesse, et ce qu'a dit Arnaud Montebourg est important pour la France."
Des déclarations qui n'ont pas manqué de faire réagir les Verts, opposés à toute recherche et exploitation de cette forme d'énergie non conventionnelle. "Un revirement du gouvernement serait une violation absolue de l'accord passé (entre) le PS et Europe Ecologie-Les Verts, a lancé Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste au Sénat. Les propos tenus [par M. Vidalies] nous préoccupent et paraissent contradictoires avec les déclarations du président de la République lors de la conférence environnementale. Nous pensions que le débat était clos."
RECHERCHES EN COURS
Si la France est le premier pays à avoir interdit — temporairement — la fracturation hydraulique, elle ne s'est par contre pas prononcée sur la rercherche sur les gaz de schiste. Une distinction sur laquelle avait insisté Arnaud Montebourg, lors d'un entretien au Monde, le 17 septembre : "Le président de la République a condamné la fracturation hydraulique destructive de l'environnement, mais pas le gaz de schiste en soi. Si la recherche évolue sur cette technique, il sera bien temps d'en reparler."
Deux jours plus tard, dix-neuf personnalités du monde de l'industrie signaient un appel, dans l'hebdomadaire L'Usine nouvelle, à relancer le débat. Les signataires, dont la présidente du Medef Laurence Parisot et son homologue de la CGPME Jean-François Roubaud, assuraient qu'il ne faut pas exploiter cette ressource énergétique controversée "à tout prix", mais estimaient que la France a "le devoir d'évaluer ses ressources potentielles" et doit chercher à "développer des modes d'exploitation propre".
D'autres procédés sont ainsi à l'étude. La fracturation de la roche, par arc électrique en particulier, fait l'objet de travaux à l'université de Pau et des pays de l'Adour. Le principal intérêt de cette technique est de réduire la consommation d'eau nécessaire à la fracturation. Selon l'agence fédérale américaine de protection de l'environnement (EPA), la fracturation hydraulique consomme chaque année, aux Etats-Unis, la même quantité d'eau douce qu'une ville de plus de 5 millions d'habitants.
Si elle devient opérationnelle, la fracturation par arc électrique permettrait de n'utiliser que l'eau nécessaire à inonder le puits. Au fond de ce dernier, une décharge électrique provoque un "claquage" de l'eau, émettant ainsi une onde acoustique. Celle-ci heurte la roche et la lèse suffisamment pour que le gaz se libère et remonte le long du tubage. L'inconvénient est qu'elle nécessite un puissant générateur électrique en surface.
D'autres travaux visent à remplacer le fluide de fracturation par du dioxyde de carbone (CO2) à l'état de "fluide supercritique", c'est-à-dire dans certaines conditions de température et de pression. Le gain en eau serait considérable, mais d'autres inconvénients surviendraient : le CO2 accélérerait la dissolution des roches et pourrait augmenter l'étendue des fissures ouvertes. D'où une possible migration vers les couches géologiques supérieures de certains éléments naturellement présents dans la roche, comme des métaux lourds ou des éléments radioactifs.
Audrey Garric
France
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