Madame la ministre Diane De Courcy,
En tant qu’enseignants en francisation des immigrants adultes, nous aimerions aujourd’hui attirer l’attention sur certaines de nos inquiétudes quant à la francisation des adultes.
Depuis plusieurs mois, nous remarquons dans nos classes que le nombre d’étudiants qui bénéficient du programme de financement d’Emploi-Québec - qui rémunère d’anciens travailleurs licenciés - fond comme neige au soleil. Ils sont de moins en moins orientés vers la francisation, comme si on leur signifiait, volontairement ou non, que s’ils ont déjà trouvé un emploi auparavant sans maîtriser le français, ils en trouveront bien un autre. Nous remarquons aussi que plusieurs nouveaux arrivants ne savent pas où aller afin d’apprendre le français ; austérité budgétaire oblige, les commissions scolaires ne peuvent se permettre de faire de la publicité dans les grands médias.
De plus, lorsqu’ils se rendent en commission scolaire, nos nouveaux arrivants apprennent souvent que s’ils désirent un financement, ils devront attendre d’obtenir une place au ministère de l’Immigration (MICC). Il est bon de mentionner que depuis plusieurs années, nous assistons à une « guerre de clochers » délétère entre les ministères offrant un service de francisation (le MICC et le MELS.)
Alors qu’au MICC, les listes d’attente sont longues, les effectifs des classes des commissions scolaires diminuent, et ce, même si on y offre un service de même qualité. Nous déplorons que les immigrants n’aient pas la possibilité de sélectionner eux-mêmes leurs établissements scolaires : ne serait-ce que pour fréquenter un centre près de leur résidence ou de l’école de leurs enfants. Les programmes de francisation offerts en commission scolaire doivent être plus reconnus. Nous y offrons des horaires adaptés, que ce soit de soir à temps partiel, de jour à temps plein ou même le samedi matin, correspondant aux réalités diverses de nos apprenants.
La structure des centres d’éducation des adultes permet d’offrir une gamme de services toute l’année durant, et ce, même l’été. Nous nous inquiétons d’ailleurs que les accords que détenaient certains centres de francisation en commission scolaire avec le MICC aient récemment été rompus : est-on en train, lentement mais sûrement, de diriger tous les services au MICC ? Nous avons plusieurs raisons de nous en inquiéter.
Francisation en ligne: pourquoi?
Nous nous questionnons aussi de vous voir vanter les mérites du programme de francisation en ligne. Bien que l’intention de franciser nos immigrants avant leur arrivée soit louable, les recherches récentes ont prouvé que rien ne vaut une classe de langue authentique. La classe de langue est un lieu de pratique exemplaire et les acquisitions linguistiques qu’on y fait ne pourront jamais être substituées à une classe virtuelle.
En effet, la classe de langue est un laboratoire d’acquisition du français québécois, mais aussi un lieu d’initiation à sa culture, ainsi qu’un lieu d’interaction avec ses pairs permettant aux immigrants de se créer un réseau social. La francisation en ligne coûte probablement beaucoup moins cher au gouvernement, mais excepté ce fait, nous n’y voyons pas, en tant que spécialistes, beaucoup de bénéfices sociaux ou linguistiques.
Les néo-Québécois vont-ils s’intégrer davantage à notre société s’ils sont cloués à leur ordinateur, de l’étranger ? La francisation en ligne, c’est « mieux que rien », mais ça ne donnera jamais d’aussi bons résultats. Souvent, des gens qui sont passés par la francisation en ligne ou par les cours de l’Alliance française, lorsqu’ils sont évalués dans nos centres, sont reclassés dans les niveaux débutants : le même parcours que quelqu’un qui n’a jamais fait de français auparavant.
La francisation, directement au Québec, apporte une possibilité d’exploration de terrain, un vrai contact entre apprenants, une « coconstruction » langagière ciblée et une meilleure possibilité de correction phonétique. De chez lui, l’étudiant n’est pas en contact réel avec la culture qu’il va bientôt rejoindre. C’est la même chose lorsque vous désirez franciser les nouveaux arrivants « à l’étranger ». Nos cours de francisation de niveau débutant comprennent près de 480 heures de formation, il est difficile d’obtenir la même offre ailleurs, sans compter que ces apprenants ne seront pas du tout exposés à la culture québécoise ou aux spécificités du français vernaculaire québécois.
Tout nous porte à croire qu’il s’agit d’une mesure visant à économiser qui ne donnera jamais les mêmes résultats. N’est-ce pas une priorité de franciser adéquatement l’ensemble de nos immigrants tout en les familiarisant avec la culture d’accueil plutôt que de le faire à distance et à coût moindre ? La francisation en ligne, c’était la « solution miracle » des ministres James et Weil.
Nous considérons fort déplorable que madame De Courcy reprenne le même plan que ses prédécesseures libérales. De plus, en ce qui concerne les changements à la grille de sélection, ne choisir que des immigrants ayant déjà une maîtrise du français nous privera de la diversité de provenance des immigrants potentiels. En tant qu’enseignants de francisation ayant à coeur l’intégration de nos immigrants, nous vous demandons d’agir non pas en fonction de l’économie, mais bien en fonction de la qualité de l’acquisition du français dont devraient bénéficier ceux qui ont choisi de se joindre à nous.
*Ont aussi signé ce texte : Mélanie Béland, Cédric Bergeron, François Bergeron, Melika Brunet-Benkritly, Sophie Campagna, Valérie Damoiseau, Riad Djanji, Charles Durocher, Myriam Foley, Anna Grobman, Nephtali Hakizimana, Anne Langelier, Angélique-Soleil Lavoie, Grégoire Mallette, Annie Martineau, Corina Moisa, Jean-François Morin, Smiljana Pavlovic, Noémie Pomerleau-Cloutier, Éric Rivest, Annie-Ève Robert-Stenson, Anne Lyne Roussel, Geneviève Sénécal, Elsie Sousa, Virginie Stinat et Jean-François Truchon.
Francisation en ligne - Rien ne vaut une «vraie» classe
La «guerre de clochers» délétère entre les ministères offrant un service de francisation doit cesser
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