Fiers de voter : ces néo-Canadiens impatients du scrutin

B4523bae39340598fcc27244a78f32a3

Un demi-million de nouveaux électeurs immigrés depuis 2015 : le Grand Remplacement électoral


Environ 500 000 nouveaux Canadiens pourront voter le 21 octobre. Certains d'entre eux ont été des électeurs actifs dans leur pays d’origine, tandis que d’autres viennent de pays où la démocratie n’existe pratiquement pas et espèrent faire entendre leur voix pour la première fois.





C’était la première fois de ma vie. Avant ça, j’avais jamais eu confiance, mais ici, je sais que le Canada est un pays démocratique, donc mon vote va compter.


Bouchta Bouabid, Canadien d'origine marocaine


Bouchta Bouabid vient du Maroc. Il est devenu citoyen canadien en janvier 2015 et a voté pour la toute première fois de sa vie lors des élections la même année.


Il explique ne pas avoir confiance dans le système ou les politiciens de son pays, qui ne changent rien.







Blaise Tchuisseu, lui, n'a voté qu'une fois dans son pays d'origine, le Cameroun. C'était en 1992. Pour les élections qui ont suivi, il n’y avait rien de démocratique donc le processus ne permettait pas le vote, précise-t-il.



Même s'il a voté au cours de ces 15 dernières années au Royaume-Unis où il était expatrié, il dit se sentir vraiment excité à l'idée de se rendre aux urnes le 21 octobre, à peine quelques mois après avoir reçu sa citoyenneté.


Voter, une fierté


Un sentiment revient comme un leitmotiv lors des conversations avec ces récents citoyens canadiens. Fierté.



J’étais vraiment très fier. J’étais aussi honoré et surtout... responsable. Parce qu’on doit voter pour que les choses changent.


Bouchta Bouabid, Canadien d'origine marocaine


Bouchta Bouabid a les cheveux noirs mi-longs, il a les yeux marrons et sourit à la caméra

Bouchta Bouabid est citoyen canadien depuis janvier 2015 et votera pour la deuxième fois lors des élections du 21 octobre.


Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle







Pour moi c’est une fierté, c’est quelque chose que j’attendais et je pourrais y aller maintenant et dire "pensez à moi parce que ma voix, elle compte".


Blaise Tchuisseu, Canadien d'origine camerounaise


Blaise Tchuisseu est Noir il porte une chemise bleu à petits points, il regarde la caméra.

Blaise Tchuisseu est devenu citoyen canadien durant l'été 2019 et votera pour la première fois lors des élections du 21 octobre.


Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle






Pour Jonathan Hardouin, Franco-Canadien depuis février 2015, le système était certes moins différent que pour Bachta et Blaise. Il n'en demeure pas moins qu'il a attendu sa carte d'électeur comme un précieux sésame vers son identité canadienne.


Il se souvient encore de son empressement à se rendre aux urnes dès le petit matin, parmi les premiers, en 2015. Je me rappelle être arrivé et les gens m’ont dit : “mais monsieur, c’est qu’on n’est pas encore prêts, revenez dans cinq minutes”, plaisante-t-il.



Un mot : fierté. Cette fierté de pouvoir exprimer mon choix et d’être reconnu. Tant que je n’avais pas le droit de vote, je ne me sentais pas vraiment reconnu comme étant un citoyen à temps complet.


Jonathan, Canadien d'origine française


Jonathan est blanc il sourit à la caméra, il a les cheveux châtains foncés et les yeux marrons.

Jonathan Hardouin est citoyen canadien depuis février 2015 et votera pour la deuxième lors des élections du 21 octobre.


Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle






D’autres, comme Eugène Nshimiyimana, n’en sont pas à leur première élection au Canada. Mais chaque année, cet événement a une saveur particulière pour ce Rwandais d'origine qui est arrivé en 1998 au pays et est citoyen depuis 2007. C'était aussi la toute première fois de sa vie qu'il pouvait participer à un choix politique.



Pour moi, c’était quelque chose de nouveau de savoir que je pouvais voter pour qui je voulais. Et surtout de savoir que sur la liste des candidats, il y en avait plus d’un.


Eugène Nshimiyimana, Canadien d’origine rwandaise


Eugène Nshimiyimana en entrevue.

Eugène Nshimiyimana est Canadien d'origine rwandaise, il a eu sa citoyenneté en 2007.


Photo : Radio-Canada / Marie-Eve Dumulong




Des préoccupations similaires aux autres Canadiens


Environnement, emploi, coût de la vie, éducation… Les enjeux qui les intéressent ne se différencient pas beaucoup de ceux de tous les Canadiens.



La professeure et chercheuse au département de sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal, Carolle Simard, explique que, bien souvent, l'intégration politique demeure un long processus pour les néo-Canadiens.


Il y a d’abord l'intégration économique, ensuite, l’intégration sociale, et enfin l’intégration politique, qui peut prendre des années. Les nouveaux citoyens ont beaucoup de choses à faire avant de s'intéresser au processus politique notamment lorsqu'ils viennent de cultures où le processus démocratique n'existe pas, fait-elle remarquer.


Carolle Simard indique toutefois que pour certaines personnes c'est très excitant d'acquérir un nouveau droit et d'avoir son mot à dire.



Souvent les nouveaux Canadiens sont plus optimistes par rapport à la participation politique que les gens de la société d'accueil. En se disant notamment qu'au Canada les gouvernements les écoutent.


Carolle Simard, professeure de sciences politiques, UQAM


Les nouveaux citoyens canadiens demeurent toutefois moins nombreux à voter que ceux nés au Canada, indique Élections Canada, qui reprend les données de Statistique Canada.


Parmi les raisons évoquées, l’absence de traditions démocratiques dans certaines régions du monde, mais aussi le manque de confiance à l’égard des institutions ou les différences sur le plan de la culture politique.


L’immigration, un enjeu qui reste important


Blaise, lui, se dit sensible à ce qui est offert aux immigrants, notamment en matière d’emploi. Il souhaite aussi une meilleure reconnaissance des diplômes et des expériences acquises dans leur pays d’origine. Il aimerait aussi que la durée du traitement des dossiers soit révisée, la jugeant trop longue.


On parle aussi d’immigration francophone, il y a un bon creuset en Afrique, au sud du Sahara. Tous ces pays regorgent de l’expérience et de la main-d’œuvre francophone, dit-il, en rappelant que la cible d’immigration francophone hors Québec est encore loin d’être atteinte.



Il faudrait tout simplement que le leader, qui sortira après les élections du 21, prenne en compte le fait que, nous, immigrés, nous avons des besoins.


Blaise Tchuisseu, Canadien d'origine camerounaise


Bien que les discours politiques n'arrivent que rarement dans la communauté rwandaise expatriée à Toronto, selon Eugène Nshimiyimana, toute position politique sur ce thème les interpelle.


On essaie de penser notre avenir à l'intérieur du discours [politique]. On sait qu'il y a toujours un danger. Si je suis citoyen depuis 2007, d'autres le sont depuis 2000 ou 1990 et l'immigration continue d'apporter des forces vives à la nation. On ne peut pas dire : j'y suis et ceux qui restent, ce n'est plus mon problème.


Notre dossier Élections Canada 2019

De son côté, Jonathan s'intéresse davantage à l'environnement, l'économie et les infrastructures. Néanmoins, il n'oublie pas que lui aussi est passé par la case immigration.



J’ai toujours un problème avec des partis ou des leaders politiques qui prônent un discours plus anti-immigration. En ayant bénéficié de l’immigration, je trouve que c’est important que d’autres puissent aussi en bénéficier comme moi.


Jonathan Hardouin, Canadien d'origine française


Même son de cloche pour Bouchta. Il y a un parti qui embrasse un petit peu l’immigration et aussi je crois qu’il a donné beaucoup de choses pour les immigrés donc c’est peut-être un parti pour qui on va voter, assure-t-il.


Ma voix compte


Blaise Tchuisseu, Canadien d'origine camerounaise

Blaise Tchuisseu considère que c'est une erreur de ne pas aller voter, car cela fait « subir la décision ».


Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle




Outre la fierté, c'est un sentiment de devoir qui habite désormais ces Canadiens.


C’est important pour moi parce que ma voix compte maintenant alors qu’elle n’était pas prise en compte dans le système au Cameroun. Dès lors que tu parles de manière claire comme ça au Cameroun, t’es arrêté et t’es mis en prison, soutient Blaise Tchussieu.


Bachta Bouabid, lui, dit ne pas comprendre ceux qui ne se rendent pas aux urnes. Ils ont quelque chose de valeur, et ils ne le savent pas. Si ces personnes allaient ailleurs et regarder dans d’autres pays comment ça se passe, leur idée sur le vote changerait, pense-t-il.


D’ailleurs, pour sa première fois, pas question de voter en ligne pour Blaise. Je veux aller sur place et je veux voir, conclut-il en souriant, histoire de vivre l'expérience citoyenne, pleinement.




-->