Faire la souveraineté du Québec avec les autochtones

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Saganash n'est pas un allié : il milite contre le bilinguisme de la Cour suprême et pour la partition du territoire québécois

Cet ouvrage court et de lecture agréable, Le centre du mondeUne virée en Eeyou Istchee Baie James avec Romeo Saganash, d’Emmanuelle Walter (Lux Éditeur), nous apprend beaucoup. Quiconque s’intéresse sérieusement à la vision du Québec dans une perspective autochtone sortira enrichi de cette lecture.


L’auteure accompagne Romeo Saganash, député NPD, dans une tournée de la partie méridionale (là où il y a un réseau routier) de son immense circonscription fédérale, Abitibi-Baie James-Nunavik-Eeyou, qui s’étend de Val-d’Or au détroit d’Hudson, en passant par Chibougamau, Radisson et Puvirnituq. Elle couvre la moitié du Québec.


Faut-il présenter Romeo Saganash ? Il fait partie de la dernière génération de Cris nés sous la tente. Il a survécu au pensionnat où il a côtoyé l’horreur : la première nuit, on lui a rasé la tête et ôté tous ses habits ; on lui parlait uniquement en anglais, une langue qu’il n’avait jamais entendue.


« Je n’ai pas été maltraité physiquement. Psychologiquement, oui. Autour de moi, je voyais la maltraitance physique et sexuelle. Mais il y avait une telle impunité. »


[…]


On comprend la réticence de Romeo à vouloir parler de ces années, « parce que le dépassement de soi est une obligation sociale et médiatique ». Pourtant, il faut rappeler à l’occasion ce qu’a vécu une génération d’autochtones à travers le Canada, qui en a été marquée pour la vie.


Romeo a grandi, il a fait des études de droit à Montréal, il a voué sa vie à la défense de son peuple et de son droit à l’autodétermination : « J’ai mis 20 ans à convaincre les Cris que les Québécois avaient, eux aussi, le droit de s’autodéterminer. »


Il a vécu plusieurs années à Québec pour représenter les Cris auprès du gouvernement du Québec. Il a été l’un des artisans de la Paix des Braves de 2002 négociée avec Bernard Landry :


« Le gouvernement du Québec a su faire fi des conflits du passé […]. Le Canada ne peut pas se targuer d’avoir conclu la Paix des Braves, même s’il s’en approprie tout le mérite dans les forums internationaux. Nous savons d’ailleurs que la présence du Canada lors de la négociation de la Paix des Braves n’aurait fait que condamner tout le processus à l’échec. »


La Paix des Braves est une modification de la Convention de la Baie-James, qui prévoyait notamment un versement de 250 millions de dollars de 1975 aux Cris par Hydro-Québec en échange de leur renonciation à leurs droits ancestraux. Cette renonciation fut très controversée non seulement chez les Cris, mais dans l’ensemble du monde autochtone.


Les représentants des Cris signèrent sous une pression extrême, convaincus que le développement du réseau de barrages de la baie James allait se réaliser de toute façon. Ces événements dramatiques ont divisé les Cris jusqu’à ce jour.


Près de 30 ans plus tard, la Paix des Braves prévoyait un versement de 3,5 milliards sur 50 ans par Hydro-Québec, soit 700 millions par année, auxquels Ottawa a ajouté plus tard 1,5 milliard. C’est, au total, 5 milliards que les Cris recevront pour le développement hydro-électrique et forestier du Moyen-Nord québécois, sans compter les centaines de millions versés aux Inuits.


Il n’est pas étonnant que le niveau de vie des Cris du Québec soit nettement supérieur à celui de leurs voisins, les Cris de l’Ontario, les Inuits du Grand Nord ou les Anishnabe (les Algonquins) de l’Abitibi. Pourtant, les Cris du Québec vivent eux aussi des crises du logement et de santé publique, ce qui laisse songeur.


En 2014, sous Jean Charest, un autre pas est franchi. Une cogestion de l’ensemble de la moitié sud du territoire de la Convention, qui s’étend jusqu’à Chibougamau et Chapais, est instaurée entre les Cris et les Blancs. À terme, la vitalité démographique des Cris (ils seront bientôt 20 000) leur donnera la majorité dans les organismes de cogestion. Il y a longtemps que la Loi sur les Indiens ne s’applique plus aux Cris du Québec.


La Convention de la Baie-James lie deux des onze nations autochtones reconnues au Québec, les Cris et les Inuits. Ces deux nations ont pu créer un rapport de force politique qui leur était favorable en raison de particularités dans la loi fédérale de 1912 qui a transféré leurs territoires au Québec.


À titre de comparaison, les Innus et les Attikameks négocient un traité depuis presque 40 ans, sans succès. Les Innus de Pessamit ont obtenu la maigre somme de 150 000 $ pour le développement du réseau de 14 barrages, dont Manic 5, sur leur territoire ancestral. Il est clair que les Innus ont été floués.


Romeo Saganash a aussi été pendant de longues années l’un des artisans de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007 malgré les profondes réticences du Canada.


> La suite sur Le Devoir.



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