On apprenait dernièrement qu’Ottawa refusait en très grand nombre (35 642 refus en moins de 2 ans), pour des motifs nébuleux, les étudiants africains qui se destinent à des études en français au Québec. Mais, en même temps, Ottawa accepte des dizaines de milliers d’Indiens qui viennent étudier en anglais au Québec. Les taux d’acceptation des étudiants originaires du même pays d’Afrique sont beaucoup plus élevés s’ils postulent dans un programme d’études en anglais hors-Québec que s’ils postulent dans un programme d’études en français au Québec.
Ceux qui veulent venir étudier en français au Québec sont clairement victimes de discrimination de la part du gouvernement canadien. Les tentatives d’assigner le blâme pour cet état de fait à un logiciel utilisé pour regrouper les données par les fonctionnaires fédéraux sont pitoyables. Car, en dernière analyse, les « biais » manifestés par le logiciel sont le résultat fidèle de la programmation qui en est faite.
Depuis 2014, Ottawa a complètement changé le système d’immigration et utilise maintenant les institutions d’enseignement supérieur (cégeps et universités) comme levier pour attirer des immigrants au Canada. Une bonne partie des étudiants internationaux convertissent donc maintenant leur statut d’immigrant de « temporaire » à « permanent » après la fin de leurs études. Pour ce faire, au Québec, Ottawa utilise en priorité les institutions d’enseignement de langue anglaise. Ce qui a pour effet de faire reculer à très grande échelle le français au Québec.
Face à cela, le projet de loi 96 de la CAQ, qui ne touche pas à l’immigration et qui ne fait presque rien en enseignement supérieur, rate la coche. Pire, en donnant le Royal Victoria à McGill, le gouvernement de la CAQ collabore avec Ottawa en permettant à la discrimination exercée par le fédéral contre les francophones de se déployer encore plus. Il faut en effet comprendre que si seule McGill a les moyens financiers de reprendre le Royal Vic, c’est peut-être parce qu’Ottawa, entre autres, prive les institutions de langue française depuis des années de la présence de très lucratifs étudiants internationaux?
Le comportement du gouvernement du Québec qui, d’un côté, fait de grands discours sur la « fierté » et qui, de l’autre, consolide l’hégémonie anglaise en santé et en éducation supérieure à Montréal, nous ramène directement à une observation que l’on doit à l’écrivain Jean Bouthillette: « C’est dire que le dédoublement de la personnalité, en même temps qu’il attisait en nous le refus de l’Anglais, nous amenait non moins inconsciemment à le considérer comme un père nourricier sans lequel nous ne sommes ni ne pouvons rien; à fuir instinctivement un système qui nous dépouille jusqu’à l’âme tout en le considérant comme nôtre. Le refus se double donc d’un secret consentement à l’Anglais. C’est cette ambiguïté qui est à la source de l’opportunisme politique de notre « bourgeoisie » traditionnelle, qui fut-et est encore-à la
fois nationaliste et « collaboratrice », son instinct de survie lui commandant à la fois, pour se tenir en selle, de flatter le peuple par des slogans autonomistes et de rassurer l’Anglais en l’assurant de notre docilité. Le dédoublement de la personnalité a conduit tout naturellement au double jeu politique, caractéristique des peuples dominés. »
Ces mots, écrits il y a plus de 50 ans, n’ont pas pris une ride. Comme si la Révolution tranquille et la Charte de la langue française n’avaient eu aucun effet psychologique profond. Une bonne partie de notre élite politique fait toujours dans le « double jeu » et est aujourd’hui, comme avant, toujours profondément « colonisée ».
Frédéric Lacroix, Chercheur indépendant, chroniqueur et essayiste