Et si Hérouxville n'avait été qu'un faire-valoir ?

Pour le moment, ce qui importe, c'est de ne jamais rien regretter et de poursuivre, chacun à sa manière, toute action pouvant aider nos compatriotes et nous-mêmes à mieux comprendre ce que nous sommes et où nous désirons que le destin nous mène.

Tribune libre 2010



Et si Hérouxville n'avait été qu'un faire-valoir ?
J'avoue que le titre étonne. Prendre une municipalité comme plate-forme
pour mieux exécuter un formidable plan d'action destiné à combattre
l'intégrisme musulman, c'est plutôt génial ! Mais était-ce honnête
intellectuellement parlant ? Les conséquences à long terme avaient-elles
toutes été analysées ? Après tout il ne s'agissait que de prendre un
village en otage afin de mener un combat que seul, de toutes évidences, le
penseur des ‘Normes de vie' n'aurait jamais pu mener à terme !
Suivant la Commission Bouchard-Taylor et quelques conférences face à des
audiences sans lendemains, vers novembre 2008, je pouvais me prêter à une
réflexion. J'ai donc pris à cette époque la décision de prendre un net
recul face à la question des accommodements raisonnables. Je voulais mieux
mesurer l'ampleur de mon implication à la mise en place de cette
provocation de janvier 2007 qui se voulait finalement une habile manière de
semer davantage l'anarchie dans ce débat des accommodements raisonnables,
débat qui durait depuis au moins 2004 au Québec. On pourra me reprocher
d'avoir conservé une certaine naïveté au long de ce parcours. Je choisis
volontairement le mot ‘naïveté'. Il englobe à lui seul toutes les
illusions, celles qu'on perd une fois que le combat a débuté, se poursuit
et finalement piétine. Justement, s'il piétine, c'est que le discours a
pris le même ton qu'on reprochait alors aux intégristes. La tactique de
répéter sans cesse le même discours est bien connue des intégristes. Plus
on répète la même chose, plus on finira par convaincre tous et chacun que
nos propos ont du sens alors qu'il n'en est parfois rien. J'entends encore
une voix me dire : « Plus tu frappes sur un ‘leader', plus il prend
de la force » mais encore « Plus tu parais idiot, plus tu dégages la marge
de manœuvre nécessaire pour accomplir ton plan. Qui pourrait se
préoccuper d'un idiot maladroit et inoffensif ? ». Cela me fait penser à
cette citation de Bertrand Russel : ‘L'ennui dans le monde, c'est que
les idiots sont sûrs d'eux et les gens sensés plein de doutes'.
Dans les faits, les ‘Normes de vie' devaient à l'origine être
adoptées par la MRC de Mékinac qui englobe dix municipalités. Un sondage
avait été mis sur pied pour mieux convaincre les élus de la pertinence
d'engager le débat. En relisant aujourd'hui les questions fermées de ce
sondage, je l'estime biaisé et me demande comment personne ne se soit
objecté à sa pertinence. Lors d'une séance de la MRC de janvier 2007, le
maire d'Hérouxville de l'époque prît la parole et lut les ‘Normes de
vie' au caucus précédant la séance publique. Ce fût alors presque la risée.
Aucun maire ne l'écoutait et n'approuvait cette façon d'illustrer
l'intégration des immigrants dans leur village respectif. Le projet était
voué à l'échec. La seule alternative était de convaincre le conseil
municipal d'Hérouxville d'aller seul de l'avant dans cette aventure.
Connaissant l'ascendant remarquable que peut avoir l'as vendeur de Xerox
devenu alors conseiller, monsieur Drouin convainquît alors le conseil
d'adopter par résolution le document ‘Normes de vie' auquel j'avais
collaboré à titre de correcteur. Il était clair pour moi que seuls les
musulmans étaient visés par ce document et je mentirais si je ne vous
disais pas que je ressentais un certain malaise. Cependant, l'allusion à la
lapidation et à l'excision était un bon prétexte pour s'assurer que les
médias réagissent. Honnête procédé ? Selon l'auteur du document, c'était
semble-t-il la même tactique qu'utilisait l'ennemi désigné.
Le 25 janvier 2007, la municipalité adoptait les ‘Normes de vie' sous
les vives recommandations du conseiller Drouin. Le 27 janvier débuta la
saga Hérouxville. Peu de gens savent que le document allait bientôt faire
l'objet de dissensions au conseil municipal.
Le 5 février 2007, le conseil municipal corrigeait le texte de manière à
enlever tous les irritants et propos considérés ‘xénophobes' ou
‘racistes' par les médias. ‘Lapidation', ‘excision' et
autres mots-clés allaient donc disparaître du texte des ‘Normes de
vie' par résolution du conseil. Je ne crois pas que l'auteur des
‘Normes de vie' ait beaucoup apprécié cet épisode.
Mais comme la saga se poursuivait de plus belle, le 12 février 2007, le
même conseil indiquait par résolution au conseiller Drouin que le mandat
qu'on lui avait confié au dossier des accommodements raisonnables était
terminé et que toute question relative aux accommodements raisonnables
devait à l'avenir être référée à monsieur Jean Charest. Ce n'est qu'il y a
deux semaines que j'ai pris connaissance de ces résolutions telles que
décrites aux procès-verbaux 2007 de la municipalité d'Hérouxville. Je peux
aujourd'hui en comprendre la teneur car il n'appartient sûrement pas à une
municipalité de gérer les principes d'accommodement que la cour Suprême du
Canada a élaborés.
Que dire de la Commission Bouchard-Taylor si ce n'est que je trouve
aujourd'hui très significative et pertinente la réplique de Gérard Bouchard
à l'égard du mémoire que monsieur Drouin et moi-même y avons présenté. Il
nous indiquait que nous avions produit en fait deux mémoires en un. J'ai
toujours cru qu'il avait vu juste. La première partie, dont je suis
l'auteur, mettait en lumière la difficulté d'adopter la politique du
multiculturalisme au Québec entendu que nos lois sont assujetties à un
droit collectif plutôt qu'individuel. J'indiquais aussi que la Charte
canadienne des droits et liberté de la personne accordait des droits
individuels et non collectifs à la société en général, ce qui ne pouvait
qu'entretenir davantage de confusions entre nos juristes québécois et
canadiens et les tenants du fédéralisme et de l'indépendance. Bouchard
avait sûrement compris ce message. Aussi, il prétendît que la deuxième
partie du mémoire nuisait à la première. C'est que la deuxième partie,
écrite par l'auteur des ‘Normes de vie', parlait ici du ‘Mode
de vie des québécoises et québécois', soustrayant du fait même toute
allusion à ce que la première partie décrivait comme solution d'approche.
D'une part nous parlions de droits collectifs et d'autre part nous parlions
de droits liés à la seule existence identitaire des québécoises et
québécois, excluant toute autre identité culturelle ou autre au partage de
nos valeurs. La leçon pour moi était apprise.
Suivirent des conférences martelant toujours le même discours devant des
audiences locales. J'avais l'impression qu'il était difficile de sortir des
sentiers battus. Je souhaitais que les intellectuels s'en mêlent et que le
débat change de ton. Les dénonciations telles qu' « au Canada, on déterre
les morts et dansent avec » n'avaient plus aucune saveur pour moi. Ce fût
la goutte de trop, celle qui nous demande de ne plus s'associer à de tels
propos. Le débat pour moi était clos et mes interventions aux médias
terminées.
Ce n'est qu'en novembre 2009 que j'ai renoué avec les accommodements
raisonnables. J'avais le sentiment que les gens d'Hérouxville ne voulaient
plus être associés à ce débat et qu'ils souhaitaient plutôt une saine
gestion des affaires courantes tout en retrouvant une certaine
tranquillité. J'allais donc devenir leur maire, ayant comme mission
d'apporter plus de transparence dans la vie municipale.
Les médias étant ce qu'ils sont ont toujours associé les propos de monsieur
Drouin à la municipalité. Il y a trois semaine environ, la presse
canadienne et CBC (Radio-Canada anglais) contactaient la municipalité afin
de savoir si nous soutenions toujours les ‘Normes de vie' telles que
bonifiées par son auteur. Ils insistaient pour que nous nous prononcions
sur notre code de vie qu'on appelait maintenant ‘Dans mon pays'. Or,
devant ce harassement des journalistes et la mise à jour exhaustive de
monsieur Drouin, je pris la décision de demander au conseil municipal de
réfléchir à propos de la pertinence de conserver ou non les ‘Normes
de vie'. Ne voulant pas influencer les conseillers, je souscrivais à un
caucus spécial début juin. Ayant pris la peine de me retirer des
discussions le moment venu, les conseillers me faisaient état de leur
réflexion le lendemain matin. Ils avaient opté pour un communiqué de presse
afin de mettre les pendules à l'heure et mieux situer la place de la
municipalité dans ce débat. J'ai immédiatement approuvé leur décision, me
réjouissant qu'ils aient encore une fois fait l'unanimité. Un maire ne
pourrait jamais mieux rêver que de voir devant lui un conseil uni et
solidaire.
Il est normal que la compréhension des faits depuis janvier 2007 soit
différente pour moi versus beaucoup d'individus n'ayant pas côtoyé
quotidiennement l'initiateur de cette saga. Beaucoup de faits vous
resteront encore inconnus pour quelque temps. Pour le moment, ce qui
importe, c'est de ne jamais rien regretter et de poursuivre, chacun à sa
manière, toute action pouvant aider nos compatriotes et nous-mêmes à mieux
comprendre ce que nous sommes et où nous désirons que le destin nous mène.
Bernard Thompson


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9 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 juin 2010

    Monsieur Thompson
    Un gros merci aux gens d'Hérouxville qui ont contribué à faire évoluer le Québec. Je leur en serai toujours reconnaissant.
    André Gignac le 8 juin 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    8 juin 2010


    «Lorsque les arbres ont vu la hache entrer dans la forêt, ils se sont dit: au moins le manche est l'un des nôtres»
    Proverbe turc

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2010

    M. Bernard Thompson,
    J'ai lu votre excellent livre et je crois que vous savez toute l'estime que j'ai pour vous.
    Il me semble que vous faisiez une belle équipe avec André Drouin.
    Je vous fais remarquer qu'il n'y a aucun des huit commentaires qui porte sur votre propos principal que je prends bien garde de résumer... et que j'aurais pu commenter...mais je ne le ferai pas. Je m'en tiens à mon dernier texte où je dis que le code de vie original est un chef d'oeuvre de pédagogie...et que Hérouxville ne l'a pas renié.
    J'espère que ça vous sert de leçon.
    Amicalement,
    et bonne chance dans l'exercice de votre fonction de maire
    Robert Barberis-Gervais, Longueuil, 7 juin 2010

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2010

    Ce fut un beau coup de pied au derrière des biens pensants !
    Surtout ceux de Montréal !
    Mille merci !

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2010

    « D’une part nous parlions de droits collectifs et d’autre part nous parlions de droits liés à la seule existence identitaire des québécoises et québécois, Excluant toute autre identité culturelle ou autre Au partage de nos valeurs. La leçon pour moi était apprise. » B.Thompson
    L’identité étant plus factuelle que les valeurs, elles plus aléatoires et contingentes, quelle leçon ?

  • Jacques Bergeron Répondre

    7 juin 2010

    S'il y a quelque chose à retenir de ce code de vie, c'est qu'il a éveillé le monde entier sur un sujet qu'il voulait ignorer.Merci aux citoyennes et aux citoyens d'Hérouxville d'avoir agi en notre nom.Pour cela nous leurs serons toujours reconnaisants.

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    7 juin 2010

    @ B. Thompson:
    Les juges de la Cour suprême du Canada, ont une nette tendance à pencher du côté du multiculturalisme et des revandications des minorités (enfin, autres que celle que nous incarnons, au yeux du «Rest of Canada»). Et cela, je croirais, en regardant le texte de la loi, sur papier, mais sans réfléchir honnêtement aux conséquences sociales de différentes décisions.
    Triste état de choses! D'autant plus que ces juges, sont nommés, pas élus... Un peu comme si nous étions gouvernés par un ensemble de juges, très coupés de la réalité. Et très, très canadiens, dans leur façon de voir les choses!

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2010

    Le courage et la fermeté d'Hérouxville nous laissent croire qu'il y a encore un espoir que les Québécois se reprennent en main et disent ce qu'ils pensent sur tout ce qui se passe au Québec.
    Nommez-moi un seul Québécois, une seule municipalité, une seule commission scolaire, un seul intellectuel qui aura eu autant de courage ces dernières années.
    Que voulez-vous j'admire le courage; il y a tant de mous et d'aplatventristes, de vire-vent et de vire-capot par les temps qui courent.
    Encore merci à Hérouxville de m'avoir permis de retrouver espoir et fierté, le temps d'une saison !

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2010

    M. Thompson, il fait bon de vous relire après une absence remarquée des publications de Vigile.
    J'aimerais réagir sur un de vos passages. Je vous cite:
    "Je peux aujourd’hui en comprendre la teneur car il n’appartient sûrement pas à une municipalité de gérer les principes d’accommodement que la cour Suprême du Canada a élaborés."
    Je suis en partie d'accord avec ce que vous dites.
    La population doit avoir le dernier mot dans tous les dossiers où l'ensemble de la société est interpelé. Or et c'est là mon point, la population d'Hérouxville comme tout le reste de la population du Québec a le droit d'édicter le quoi, le comment, le quand, le qui et le pourquoi des choses de la vie. C'est son droit de dire ce qu'elle attends et de ce qu'elle veux et comment elle le veux. Ce que les gens courageux d'Hérouxville ont fait, n'est certainement, à mon point de vue, banal.
    La population d'Hérouxville a lancé le message suivant: voici nos attentes en ce qui concerne les éléments identitaire québécois, les valeurs que l'on veut , et les caractéristiques culturels uniques que nous représentons. Ce que Hérouxville a fait c'est aussi de dire, le vrai pouvoir c'est à la base qu'elle est. pas au parlement de Québec, ni à la cour Suprême. Vous avez dit aussi par votre document: La société québécoise accepte les éléments suivants.
    Sans être parfait, et exprimé dans de parfaits termes légaux, le travail qui a été fait à Hérouxville en fut un essentiel et qui a forcé un débat de société tout entier...juste pour ça, de que vous avez fait est fondamental....merci..merci merci...
    Pour ce qui est de la suite des choses, la société québécoise évolue...pas vite mais évolue...
    Il faut savoir prendre le temps..donner au temps..le temps..