Le Parti québécois est confronté à trois difficultés majeures en ce moment qui expliquent en grande partie la défaveur de la population à son endroit. Un vent de droite balaie l'Occident depuis quelque temps et rend la vie difficile aux partis de gauche ou de centre gauche. Ensuite, la conjoncture constitutionnelle est elle aussi défavorable au PQ depuis que l'État canadien a, suite au référendum de 1995, choisi d'employer la méthode forte pour imposer sa domination au peuple québécois. Enfin, le PQ est à la fin de son deuxième mandat et sa réélection supposerait que l'on aille à l'encontre de la règle traditionnelle de l'alternance.
Dans ce contexte difficile, il faut se réjouir de voir le premier ministre annoncer d'ores et déjà que la souveraineté sera l'un des enjeux majeurs des prochaines élections. Il faut se réjouir aussi de le voir s'attaquer au programme de droite de l'ADQ, et regretter publiquement d'avoir refusé d'inscrire la «social-démocratie» dans le programme du PQ lors du dernier congrès. La souveraineté et la social-démocratie, comme le dit Jacques Parizeau, doivent être les principaux thèmes de la prochaine campagne électorale péquiste. Enfin, la montée fulgurante de l'ADQ laisse présager une lutte à trois lors des prochaines élections générales, ce qui bouleverse le scénario traditionnel de l'alternance.
La peur et la fuite en avant
Mais comment se fait-il que les péquistes soient en ce moment bons derniers dans les sondages ? Pour comprendre ce qui se passe, il faut invoquer plus que la «perte de confiance» de l'électorat à l'endroit du gouvernement péquiste, plus qu'«une atmosphère de fin de régime», ou une prétendue «usure du pouvoir» que personne n'est jamais en mesure d'étayer. L'attitude de l'électorat ne s'explique pas non plus seulement par les «gaffes» du gouvernement péquiste. Les engorgements dans les urgences des hôpitaux sont le fruit d'une mauvaise planification tant du côté syndical (la FIIQ) que du côté gouvernemental, et le rapport Clair révèle que les citoyens sont eux-mêmes en partie responsables des engorgements, puisqu'ils n'utilisent pas ces autres services de première ligne que sont le CLSC, Info-santé ou leur médecin de famille.
La cause est-elle alors à rechercher du côté des fusions municipales ? Il semble que non parce qu'un nombre croissant de Québécois reconnaissent que c'est somme toute une bonne chose. Le bilan des deux derniers mandats du gouvernement péquiste est en outre fort impressionnant : accord historique avec les Cris, les Inuits et les Innus, fusions municipales, réforme scolaire, commissions scolaires linguistiques, virage ambulatoire, garderies à cinq dollars, assurance-médicament, perception automatique des pensions alimentaires, politique d'équité salariale, atteinte du déficit zéro, réduction du chômage à 8,5 %, niveau d'employabilité rejoignant celui de l'Ontario, virage technologique et diversité de l'économie québécoise (multimédia, pharmaceutique, biotechnologie et aéronautique), sauvetage des entreprises Kenworth et Gaspésia, installation à Montréal de la Bourse Nasdaq, loi sur le lobbying, lutte contre le crime organisé, etc.
Comment alors peut-on expliquer la «chute libre» du PQ et le «vent dans les voiles» de l'ADQ ? La baisse dans les intentions de vote à l'endroit du PQ et la baisse de l'option souverainiste de 49,4 % à 42 % s'expliquent en partie par la désaffection d'un électorat de gauche, mais aussi par la campagne de peur du gouvernement fédéral qui a porté ses fruits jusqu'à un certain point.
Le débat entre Jean Chrétien et Stéphane Dion est à cet égard fort révélateur : est-ce les «commandites» ou la «clarté» qui ont refroidi la ferveur souverainiste, se demandent-ils. En des termes plus «clairs», il faudrait se demander plutôt : est-ce la propagande ou l'intransigeance du plan B ? Or, c'est sans doute un peu des deux, car les deux stratégies conjointement utilisées permettent d'imposer la loi du plus fort.
Le Québec n'échappe pas en ce sens à la conjoncture internationale actuelle. Vladimir Poutine impose la loi du plus fort au peuple tchétchène; Ariel Sharon impose la loi du plus fort au peuple palestinien; George W. Bush impose la loi du plus fort au monde entier; et le PLC de Jean Chrétien, Stéphane Dion, Martin Cauchon et Denis Coderre impose la loi du plus fort au peuple québécois.
La peur de la confrontation, de la chicane, des représailles, de la partition, de la violence et de l'insécurité économique a fait basculer les nationalistes mous dans le camp adverse. La stratégie du couteau sur la gorge s'est inversée. C'est Chrétien et Dion qui la pratiquent maintenant. «Si vous faites sécession, vous allez souffrir». La souveraineté apparaît alors aux Québécois comme une voie à éviter, non pas parce que ce n'est pas une bonne chose en soi, mais parce que le chemin pour y arriver leur apparaît désormais parsemé d'embûches. Il faut les comprendre et prendre acte de ce fait.
On ne peut pas invoquer un ras-le-bol à l'endroit de la classe politique pour expliquer l'attitude de la population, car il faudrait alors parvenir à expliquer pourquoi la popularité du PLC ne s'est pas démentie au Québec, malgré les scandales à répétition qui affligent ce parti depuis plusieurs années. Au moment d'écrire ces lignes, on peut citer : le milliard dépensé par Pierre Pettigrew à Ressources Humaines Canada; le conflit d'intérêts de Jean Chrétien dans le financement de l'Auberge Grand-Mère; le favoritisme d'Alfonso Gagliano étalé sur de nombreuses années; les commandites de 250 millions mises en place depuis cinq ans; les amitiés imprudentes de Don Boudria et de Martin Cauchon; les mensonges de Denis Coderre; le contrat d'Art Eggleton accordé à une ancienne copine; le financement du parti assuré par les fiducies; la course au leadership financée à partir de caisses occultes; la collusion du PLC avec le Big Business de Power Corporation, de Groupaction et de Groupe Everest; les soirées-bénéfices à 10 000 $ le couvert, etc.
Le Bloc québécois est quotidiennement «au front» à la Chambre des Communes pour dénoncer ces abus. On aurait pu s'attendre à ce que l'appui au PLC fléchisse quelque peu, mais son succès étonnant des dernières années est resté le même par rapport aux dernières élections fédérales. Cela montre encore une fois que les Québécois sont disposés à tout laisser passer pour faire la paix des braves avec le gouvernement fédéral.
Les Québécois tentent en ce moment une stratégie ancienne: ne rien faire, rester tranquilles, ne pas créer de bisbille, ne rien revendiquer sur le plan constitutionnel, d'où la tentation d'expulser les péquistes du pouvoir. Certains Québécois veulent en effet mettre provisoirement au rancart le projet de souveraineté pour voir ce qui va se produire du côté d'Ottawa.
Chose étonnante, la stratégie du laisser-faire politique pratiquée par la population québécoise à l'endroit du gouvernement fédéral s'amplifie alors même que l'on est plus que jamais en mesure de faire le procès systématique du régime fédéral canadien : refus de reconnaître le Québec comme nation, envahissement des compétences québécoises, déséquilibre fiscal, entente-cadre sur l'union sociale, détournement odieux de la caisse d'assurance-emploi, compressions dans les transferts aux provinces, loi C-20, politiques des jeunes contrevenants, loi sur les congés parentaux, bourses du millénaire, chaires d'excellence, propagande, corruption, copinage, patronage, etc.
Tout cela ne semble pas infléchir la décision des Québécois de se soumettre au rapport de domination dans l'espoir de récolter en bout de piste un maximum de «bénéfices». Ces Québécois se demandent ce que les Canadiens anglais vont faire s'il n'y a plus de souverainistes dans le paysage politique gouvernemental. Vont-ils enfin réinjecter de l'argent dans les paiements de transfert ? Vont-ils reconnaître le déséquilibre fiscal ? Vont-ils laisser les Québécois tranquilles et les traiter convenablement ? Cette attitude «bonasse» typiquement québécoise ne rapportera rien. Les espoirs de certains de voir le gouvernement canadien changer d'attitude dans l'hypothèse d'une défaite péquiste aux prochaines élections sont totalement illusoires.
Le PQ peut aider le Québec à sortir de ce cul-de-sac. Les membres devraient inscrire dans la plate-forme électorale du parti des objectifs progressistes comme un plan de pauvreté zéro avec un échéancier précis, une réforme des institutions et du processus électoral, le revenu minimum garanti (ou revenu de citoyenneté) et une politique progressiste à l'endroit de la ZLEA. Si le PQ prend résolument la voie de la social-démocratie de cette façon, il n'y aura aucun motif rationnel pour diviser le vote de la gauche en appuyant des partis qui ne représentent que des groupuscules. Je suis personnellement favorable à une «démocratie de propriétaires», c'est-à-dire à la propriété collective des moyens de production, et je ne saurais par conséquent me satisfaire de la social-démocratie. Mais il faut en même temps être pragmatique et raisonnable en défendant le parti politique qui est le plus progressiste parmi ceux qui peuvent prendre le pouvoir. Si le PQ s'engage clairement à gauche, les électeurs progressistes rentreront au bercail péquiste. Mais l'ADQ pourrait attirer suffisamment l'électorat du PLQ pour provoquer la division du vote de la droite.
Un remède contre la peur
Si jamais le PQ parvenait à se faufiler entre les deux autres partis grâce à la division du vote de la droite fédéraliste, la table serait mise pour remettre à l'ordre du jour les deux grandes options constitutionnelles du Québec : le fédéralisme multinational (par opposition au fédéralisme territorial) ou l'indépendance assortie d'une offre d'union économique et politique. Un changement stratégique majeur serait alors nécessaire au sein du PQ pour qu'il s'associe à l'ADQ sur le plan constitutionnel afin de réactiver les grandes revendications du Québec (reconnaissance du peuple québécois, statut particulier à la province de Québec, fédéralisme asymétrique, pleine maîtrise d'oeuvre en matière de langue, culture, Internet, éducation, santé et immigration, droit de retrait avec compensation financière, droit de veto, récupération de la TPS et de l'assurance-emploi, droit de contribuer à la nomination de trois des neuf juges fédéraux, doctrine Gérin-Lajoie et obligation de concertation du gouvernement fédéral à l'OMC, abrogation de la loi C-20).
Les nationalistes québécois doivent tous (sincèrement et sans astuce, et cela comprend le PQ) maintenir la porte ouverte au fédéralisme multinational, et ils doivent tous (y compris l'ADQ) envisager très sérieusement l'alternative de l'indépendance assortie d'une offre d'union économique et politique avec le Canada. Certes, le Canada semble avoir définitivement fermé la porte à une réforme du fédéralisme, mais ce n'est pas une raison pour en faire autant de notre côté.
Mais pourquoi s'afficher ouvertement favorable au fédéralisme multinational si cette réforme, aux yeux des péquistes, est devenue impossible dans le contexte politique actuel ? La réponse devrait pourtant être claire. Le PQ doit éviter une approche doctrinaire en ce qui a trait à la souveraineté. Celle-ci n'est pas une fin en soi mais un moyen pour obtenir enfin la reconnaissance nationale que le Canada ne veut pas accorder au Québec. Le Canada aurait pu reconnaître le peuple québécois et nous aurions pu, en attendant la souveraineté, accepter le compromis du fédéralisme multinational. Or, en s'engageant formellement dans un processus qui laisse la porte ouverte aux deux options traditionnelles du Québec, les nationalistes québécois ont un comportement moralement irréprochable à l'égard du Canada.
Un optimisme modéré
La montée vertigineuse de l'ADQ donne peut-être une image fausse de leur force réelle, un peu comme une entreprise dont les actions seraient surévaluées en Bourse, mais on ne peut pas exclure la possibilité que cette formation politique puisse éventuellement faire plus que doubler son score à l'occasion des prochaines élections québécoises.
La plupart des experts ont au départ jugé cette poussée de l'ADQ catastrophique pour le PQ. Mais certains reconnaissent maintenant que la force de l'ADQ pourrait s'avérer plus nuisible encore au PLQ. Grâce à l'ADQ, les fédéralistes ne sont plus une clientèle captive du PLQ. Aussi, même si la montée de l'ADQ fait provisoirement un tort important au PQ, elle nous permet de prévoir à moyen terme des jours très sombres pour le PLQ et le rejet définitif de la stratégie de capitulation tranquille que ces derniers privilégient pour le Québec. L'ascension de l'ADQ annonce une lutte à trois et l'obligation de s'engager dans des débats d'idées. Cela peut entraîner la division du vote fédéraliste de droite. Peut-être alors, qui sait, pourra-t-on faire une entorse à la vieille règle de l'alternance.
L'auteur a fait paraître en 2001 aux éditions de l'Hexagone Le pari de la démesure. L'intransigeance canadienne face au Québec, ouvrage pour lequel il vient de remporter le 12 juin dernier le prix Richard-Arès 2001 de L'Action nationale.
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