Faut-il se surprendre qu’au Québec, dans lequel il est impossible de prononcer le mot « religion » sans que des zélotes de tous bords dégainent et tirent à vue, Djemila Benhabib, candidate du Parti québécois dans Trois-Rivières, ait été prise au piège à cause de la laïcité prônée par son parti ? Novice politique, et avec la sincérité qu’on lui connaît, elle s’est laissé entraîner sur la pente savonneuse du crucifix à l’Assemblée nationale. Il ne restait plus qu’à présenter un micro à l’impayable et abrasif maire de Saguenay, Jean Tremblay, pour que s’ouvrent les vannes de l’irrationnel, de l’ignorance et de la sourde angoisse identitaire.
D’abord, disons les choses clairement. Il serait souhaitable que le dossier de la laïcité ne soit pas défendu officiellement par un candidat, nouvel immigrant, aussi remarquable soit-il. Djemila Benhabib est une femme courageuse qui affronte l’islamisme rampant à visage découvert à travers ses livres et ses déclarations publiques. On l’insulte, on la menace, même physiquement. Son adaptation chez nous (elle est l’épouse d’un Québécois « de souche », journaliste de surcroît - que lui demander de plus ?) a certainement accéléré son intégration. Mais le débat sur la laïcité, comme on l’a vu lors de la commission Bouchard-Taylor, s’inscrit profondément dans le psychisme québécois.
La culture religieuse demeure très présente dans l’appréhension que nous nous faisons de l’autre, du monde, du bien et du mal. Elle continue d’être une partie sombre, dense, complexe de notre identité québécoise. D’où le danger, pour un néo-Québécois installé ici depuis peu, de sous-évaluer l’extrême sensibilité des héritiers de la catholicité triomphante.
Il faut avoir une connaissance à la fois historique, mémorielle et émotionnelle du poids de la religion au Québec pour comprendre les réactions contradictoires, paradoxales et épidermiques autour de la foi, de l’Église et de la laïcité nouvelle. En fait, il est impossible de raisonner froidement sur ces sujets.
Par exemple, comment expliquer les exigences de plusieurs d’abolir les signes ostentatoires religieux dans les institutions publiques et en même temps leur réticence, voire leur répugnance, à retirer le crucifix de l’Assemblée nationale ? Quelle personnalité publique serait prête à monter sur un escabeau devant les caméras pour décrocher le symbole de l’identité canadienne-française d’antan ?
Notre laïcité a peu d’assises. La définir nous plonge dans des tourments, indépendamment des limites imposées par la Charte canadienne des droits et libertés. Le modèle français auquel nous avons tendance à nous référer ne correspond pas à notre réalité.
La séparation de l’Église et de l’État instaurée en France il y a plus de cent ans a permis la mise en place progressive d’une laïcité aujourd’hui ciment de l’identité française. Au Québec, la laïcité, quoi qu’on en dise, est à l’état de projet. Elle exige une réflexion permanente, des débats d’une hauteur de vue à la mesure de ses enjeux et une prudence respectueuse afin de nous épargner des déchirements collectifs supplémentaires.
Il est donc déplorable que la campagne électorale devienne la scène de ce débat. Dans l’idéal, une campagne électorale devrait être un exercice intellectuel, mais plus que jamais, le média étant le message, les gazouillis et autres réseaux sociaux ont tendance à réduire les idées à des peaux de chagrin. Djemila Benhabib devient « ces gens-là », le potentiel ministre de la Santé serait trop gros pour la fonction et Jean Charest serait le plus grand corrompu de l’histoire du Québec.
Le dérapage xénophobe autour de la personne de Djemila Benhabib, la liste des supposées qualités requises pour être ministrable et les condamnations sans preuve de politiciens tous azimuts sont-ils annonciateurs de cette nouvelle culture politique qui régnera au Québec, quel que soit le vainqueur du 4 septembre prochain ?
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