«Décanadianisation des Québécois» - Pourquoi M. Lisée a erré en parlant de «corps étranger»

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L'étrange intervention du Commissaire aux langues officielles. D'une part il se mêle de ce qui ne le regarde pas, d'autre part il dit n'importe quoi. Signe de panique à Ottawa ?

Le ministre Jean-François Lisée a dit que les Québécois ne semblent plus avoir de lien avec le Canada, que le Canada est devenu « un corps étranger ». Il n’est pas le seul ; l’ancien chef du Parti libéral du Canada Michael Ignatieff a tenu des propos semblables il y a un an et demi dans une entrevue avec la BBC. Je ne crois pas que ce soit le cas.

Tout d’abord, à quand cet âge d’or d’engagement québécois auprès du reste du Canada remonterait-il ? À la Première Guerre mondiale ? À la Seconde, avec la crise de la conscription et le référendum de 1942, alors que 80 % des Québécois s’opposaient à la conscription et que 80 % des Canadiens hors Québec l’appuyaient ? À l’époque de Duplessis, lorsque le Québec refusait le financement fédéral pour la route transcanadienne ou pour l’éducation postsecondaire ? À la Révolution tranquille ?

Peut-être faisait-il référence à l’époque de Trudeau, Marchand et Pelletier. En fait, ils ne sont pas allés à Ottawa à cause d’un intérêt particulier pour le reste du Canada, mais plutôt pour leur position dans un débat purement québécois. Gérard Pelletier était très clair dans ses mémoires : « Me supposer un attachement émotif à l’entité politique canadienne serait une erreur, parce que je n’en éprouve aucun. »

De 1976 à aujourd’hui

Quand je suis arrivé au Québec en 1976, peu avant l’élection du Parti québécois, j’ai été frappé par le manque total de curiosité pour le reste du Canada. Il y avait une conviction profonde que, par définition, rien d’intéressant ne pouvait se produire au Canada hors Québec. Si un remaniement ministériel faisait en sorte qu’un ministre québécois quittait un ministère pour un autre, c’était comme si son ancien ministère était aboli et n’existait plus. Les médias québécois couvraient la politique fédérale comme les médias de tous les pays couvrent les Olympiques : une couverture de « nos politiciens ».

L’idée que des militants de la scène politique municipale montréalaise puissent apprendre quoi que ce soit de militants de Toronto était rejetée avec force. Michel Tremblay refusait que ses pièces soient jouées en anglais hors Québec. Je me rappelle une conversation avec un député fédéral du Québec pendant une crise parlementaire maintenant oubliée. Je lui demandais ce que ses électeurs en pensaient. Il m’a répondu : « Mes électeurs ne savent même pas que le Parlement siège. » La couverture médiatique d’élections provinciales dans d’autres provinces ? Impensable. Le Canada anglais étant, par définition, ennuyant et ennuyeux.

Depuis cette époque, je constate des changements. Les Olympiques d’hiver 2010 à Vancouver ont suscité un sentiment de fierté partout au Canada. D’aucuns avaient prédit que la participation du Royal 22e Régiment à la guerre en Afghanistan provoquerait une réaction hostile au Québec. Au contraire, le sentiment de fierté était aussi prononcé au Québec qu’ailleurs au Canada.

Maintenant, je trouve que les médias québécois sont beaucoup plus curieux de savoir ce qui se passe dans le reste du Canada, à condition que ce soit intéressant ! Donc, si Alice Munro gagne le prix Nobel, que le dernier livre de Michael Ondaatje est traduit ou que sortent les films de David Cronenberg ou de Sarah Polley, ces événements sont couverts pleinement. Chaque semaine, Guillaume Bourgault-Côté écrit une revue de la presse anglophone au Canada. Le premier journaliste à avoir fait enquête sur le F‑35 fut Alex Castonguay dans L’Actualité ; plus récemment, M. Castonguay a reçu un prix pour son portrait en profondeur de Jason Kenney. James Moore, Bob Rae et Margaret Atwood ont tous été invités à Tout le monde en parle.

Pendant le Printemps érable, Denise Bombardier a écrit une chronique dans Le Devoir citant une étude qui comparait la performance au postsecondaire au Québec à celle des étudiants ontariens. Et quand Gabriel Nadeau‑Dubois a fait une tournée des universités hors Québec pour parler du mouvement étudiant, il ne l’a pas fait en Europe ou aux États‑Unis, mais au Canada.

Un autre exemple d’engagement québécois dans le reste du Canada est le phénomène du football universitaire. J’ai assisté à la Coupe Vanier à Québec et à la victoire du Rouge et Or. J’ai l’impression que certains amateurs de football universitaire canadien seraient contents si les Québécois — et le Rouge et Or en particulier — étaient un peu moins engagés dans cette activité canadienne ! Pendant des années, mon ami et ancien collègue Jeffrey Simpson provoquait ses amis fédéralistes au Québec en disant que le Québec n’a jamais voté pour un parti avec un leader du reste du Canada si un parti avec un leader québécois était sur les rangs. Jack Layton a démontré le contraire.

Un Canada curieusement inclusif

Tout cela veut-il dire qu’il n’y a plus de tensions, de conflits et d’incompréhension entre le Québec et Ottawa, ou entre le Québec et le reste du Canada, ou entre anglophones et francophones ? Absolument pas. Oui, un sentiment d’éloignement, d’incompréhension ou parfois de désengagement persiste. Cela a probablement toujours été et continuera d’être. Mais on peut surmonter ces tensions et ces conflits, comme on peut dépasser le manque de compréhension.

Il existe néanmoins également un sentiment de fierté, d’appartenance et une tradition de reconnaissance. Pour un « corps étranger », le Canada a été curieusement inclusif. Le français, qui est une langue parlementaire depuis 1848, était déjà présent dans l’Acte de la Confédération en 1867 et est formellement reconnu en tant que langue officielle depuis 1969. Les éléments principaux de la Loi sur les langues officielles ont été enchâssés dans la Charte des droits et libertés en 1982.

Et quand il y a des victoires, des sacrifices et des choses intéressantes qui ont lieu au Canada ou encore des réussites de ses citoyens dans le domaine de la culture, tous les Canadiens — y compris les Québécois — en sont fiers et y prêtent attention.


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