Commission Bouchard-Taylor

Culture première et culture seconde

Il faut espérer que la réflexion que mènera la commission Bouchard-Taylor précise à la fois les principes de tolérance, les principes clairs de la culture commune, culture seconde, de même que les exigences qui y sont liées.

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Je prends du sociologue Joseph-Yvon Thériault la distinction entre culture première et culture seconde, car elle me paraît très éclairante dans le cadre de la réflexion que doit mener la commission Bouchard-Taylor. Thériault fait ainsi clairement la distinction entre la culture seconde, celle qu'on apprend à l'école, qui comprend la culture officielle, la haute culture (lettres, savoirs, arts) et définit la culture civique commune, et la culture première, qui relève des moeurs familiales, allant de la gastronomie à la religion qu'on hérite généralement de ses parents.
J'ai consulté avec attention [l'extrait de présentation des travaux par MM. Gérard Bouchard et Charles Taylor publié dans Le Devoir (15 août 2007)->8202] ainsi que la présentation orale que le professeur Bouchard en a faite hier à l'émission du matin de Radio-Canada animée par Franco Nuovo. Dans cet entretien, M. Bouchard a pris nettement position contre l'assimilation et en faveur d'un pluralisme qui s'est imposé, selon lui, aux démocraties occidentales depuis les années 1940, dans la foulée des chartes des droits.
Mais de quel pluralisme et de quelle assimilation parle-t-on exactement? Tout est là. Prenons par exemple la religion. Je crois qu'il fait consensus, au Québec, que nous sommes en faveur d'une tolérance des diverses croyances et non-croyances religieuses, à l'intérieur du respect d'une culture civique commune.
Or, cette neutralité est définie très différemment dans les diverses démocraties occidentales. Par exemple, les pays anglo-saxons, au sein desquels on peut inclure ici les Pays-Bas, ont développé une forme particulière de tolérance des religions. La religion est officielle, mais l'État les tolère toutes -- en Angleterre, la religion anglicane est officielle et dans la république états-unienne, toutes les religions sont officiellement égales. Mais aux États-Unis, dont la devise est «In God We Trust», la neutralité entre les croyances comporte implicitement comme point commun le fait de croire en Dieu (même si les athées ne sont pas officiellement inquiétés, l'appartenance religieuse est une norme explicite).
Au Québec, c'est une autre voie que nous avons choisie depuis la Révolution tranquille, voie davantage proche du modèle de la laïcité française, sans être du tout aussi jacobine. La neutralité de l'État signifie alors de ne pas adopter une position déiste mitoyenne mais de se situer complètement en dehors du religieux, qui relève alors purement du privé.
L'État exprime clairement sa neutralité non pas religieuse, mais a-religieuse. Il n'est donc pas question d'assimiler les Néo-Québécois à la religion majoritaire (catholique), mais de faire respecter cette forme particulière de neutralité: la tolérance des religions à l'intérieur de ce cadre. Cette neutralité n'est pas la même au Canada, dont le modèle relève de l'ensemble anglo-saxon. Voilà à quoi renvoie, entre autres, la question du kirpan, et la dichotomie entre le jugement de la Cour suprême et l'opinion québécoise.
Qu'en est-il maintenant de la culture? Nous entendons désormais proclamer souvent le pluralisme du Québec, conformément à cette laïcité tolérante de la diversité religieuse, nous l'avons dit, mais aussi à une variété de cultures de minorités nationales (anglaise et autochtones) et ethniques. Or, lorsqu'il est question de minorités ethniques, de quelle diversité culturelle s'agit-il?
Comme le manifeste la loi 101, la langue française est la langue commune du Québec. Cette langue commune est le vecteur de la culture commune québécoise, cette culture seconde dont parle J.-Y. Thériault. L'existence d'une culture civique commune est un ciment essentiel à la bonne santé d'une démocratie -- elle permet au demos d'exister, de se concevoir comme demos, de délibérer en commun et d'être solidaire de ses membres.
Il est donc manifestement question d'une certaine assimilation, qu'on nomme généralement intégration, à la culture seconde québécoise, culture civique commune, symbolisée par la Charte de la langue française et la Charte des droits et libertés, culture commune qui véhicule en somme une identité, une histoire et une haute culture québécoises. Cette intégration ne signifie pas que les Néo-Québécois doivent manger de la tourtière du Lac-Saint-Jean chez eux ou jouer au hockey, encore que tout cela ne soit pas interdit, bien au contraire.
De la même façon que la croyance religieuse, toute une sphère de culture familiale et ethnique relève du privé: langue d'origine, gastronomie, fêtes, divertissements, etc. Le concept d'interculturalisme exprime la volonté explicite d'échanger, spécialement sur le plan de la culture première, entre culture québécoise du terroir et cultures d'origine des Néo-Québécois.
Un article de la charte québécoise des droits reconnaît explicitement le droit d'exprimer cette diversité -- à ne pas confondre avec les principes du multiculturalisme canadien, qui font théoriquement place à l'expression de la diversité ethnique dans la culture civique commune. L'effet pervers de ce multiculturalisme peut être d'enfermer les nouveaux citoyens dans des catégories ethniques auxquelles ils n'aspirent pas forcément en immigrant, voire en grandissant dans leur nouveau pays.
Toujours est-il que le Québec n'a pas fait le choix de ce modèle-là d'immigration et de «vivre-ensemble», car l'interculturalisme québécois insiste davantage sur l'importance d'une culture commune. Et à juste titre, autant pour le bien de notre démocratie que pour la continuité de notre culture nationale dans son contexte continental particulier, petit pan de la diversité culturelle de l'humanité qu'il relève de notre responsabilité de maintenir.
Il faut espérer que la réflexion que mènera la commission Bouchard-Taylor précise à la fois les principes de tolérance, les principes clairs de la culture commune, culture seconde, de même que les exigences qui y sont liées. L'importance de l'intégration linguistique et ses ratés à Montréal méritent par exemple un examen approfondi. Lorsque ces balises seront très clairement exprimées, elles permettront de guider une gestion responsable de notre politique d'immigration, politique qu'on ne peut entreprendre à la légère ni en voulant en occulter la discussion publique.
Instituer ces balises comprendra non seulement la remise en question sévère des coupures faites en francisation des nouveaux citoyens, mais obligera aussi à poser une question fondamentale: comment gérer pleinement l'immigration et son intégration sans l'outil cardinal d'intégration qu'est la citoyenneté québécoise?
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Charles Courtois, Doctorant en histoire à l'UQAM et à l'Institut d'études politiques de Paris

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Charles-Philippe Courtois est docteur en histoire et chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche en rhétorique de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il prépare la publication de La Conquête: une anthologie (Typo, automne 2009).





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