En science politique, on aime bien poser une question essentielle: à qui profite le crime? Ou, si vous préférez, quels intérêts sont servis par telle déclaration, telle loi, tel geste ou telle stratégie?
Pour ce qui est du cardinal Marc Ouellet, il a frappé le gros lot avec sa sortie-choc qualifiant l'avortement de "crime". 1) Des ambitions papales renforcées. 2) Des jours entiers de couverture médiatique gratos. 3) L'ouverture de plusieurs tribunes à d'obscurs "porte-paroles" anti-choix. 4) Un appel, presque sans qu'on ne s'en rende compte, à faire un "débat" sur l'avortement, alors que ce dernier est clos. 5) Les ouailles catholiques les plus conservatrices en sortent confortées - une des rares catégories à ne pas avoir encore déserté les églises.
Ce n'est pas un hasard non plus si Marc Ouellet s'en permet autant. Tenez, parlant d'"intérêts", quittons maintenant Rome pour Ottawa...
De Rome à Ottawa
Marc Ouellet s'en permet beaucoup parce que l'air du temps à Ottawa s'y prête drôlement bien avec la grande proximité existant entre les lobbys religieux et le gouvernement Harper. Qu'ils soient catholiques, protestants, juifs, musulmans, sikhs, évangéliques, etc. Et surtout, mais pas uniquement, dans leurs franges plus orthodoxes.
Cette proximité s'explique par certaines croyances partagées par les conservateurs. Mais aussi parce que ça profite électoralement et financièrement au Parti conservateur.
Si des députés conservateurs multiplient les projets de loi privés cherchant à limiter le droit à l'avortement et que M. Harper, dans le cadre de son initiative sur la santé maternelle au G8, refuse de financer les avortements dans certains des pays les plus pauvres, c'est également pour conforter ses propres ouailles. Question aussi de les encourager à se montrer généreuses envers la caisse électorale du seul parti capable, croient-elles, de "livrer" un jour leur vision ultraconservatrice du monde.
M. Harper a beau envoyer au front sa ministre Josée Verner jurer dur comme fer qu'il n'entend pas "ouvrir ce débat", ses gestes indiquent plutôt que si, en étant minoritaire, il ne PEUT recriminaliser l'avortement, il peut tout au moins contribuer à redonner une "légitimité" et des tribunes aux lobbys religieux de droite en posant des gestes aptes à remettre périodiquement cette question sur la sellette.
À chacun ses clientèles
Vous l'avez sûrement remarqué. Plusieurs communautés et leaders ont quitté leur foyer libéral traditionnel pour appuyer un PC nettement plus "sympathique" à leurs croyances et prêt à le leur montrer. Une très belle prise pour le PC puisqu'il peut profiter de leurs réseaux étendus et de la tendance de ces clientèles à voter et donner aux caisses électorales.
On retrouve d'ailleurs une bonne partie de cette clientèle "religieuse" dans les communautés culturelles. Pas exclusivement, bien sûr, mais de plus en plus.
Au point où l'ancien conseiller de M. Harper, le politologue Tom Flanagan, écrivait en 2008 que les communautés culturelles ont maintenant remplacé le Québec comme une des clientèles susceptibles un jour de donner au PC un gouvernement majoritaire. Selon Flanagan, "les électeurs ethniques n'appuient pas les causes à la mode de la gauche", dont, tenez-vous bien, le "mariage gai". Et auquel il aurait pu facilement ajouter l'avortement...
Quoiqu'une telle généralisation sur les communautés culturelles soit outrancière, il reste que la brochette de groupes religieux opposés à l'avortement, la contraception et l'homosexualité semble vouloir s'allonger au Canada.
Le problème étant ceci: en les courtisant autant, Harper renforce en retour leur pouvoir - une force montante qui participe aussi du retour inquiétant du religieux en Occident. En prenant du poids électoral et financier, ces lobbys font aussi sentir leur influence en politique provinciale. Incluant sur les questions touchant à la sexualité des femmes et des hommes que la plupart des religions organisées tentent de contrôler à des degrés divers.
Ex.: le mois dernier, en Ontario, une coalition arc-en-ciel de lobbys religieux a réussi à faire reculer le premier ministre sur un cours d'éducation sexuelle novateur qui était prévu pour l'automne prochain - un cours dont le contenu portait entre autres choses sur le mariage gai, l'identité sexuelle, la contraception, l'avortement et les relations sexuelles de manière plus explicite.
Ah oui, j'oubliais, ce premier ministre ontarien est LIBÉRAL, mais néanmoins vulnérable électoralement. Ce que les lobbys religieux ont bien compris.
Bref, au Canada, la montée de la droite, dont les lobbys religieux, n'est pas une vue de l'esprit. Même pas du Saint-Esprit! Surtout du moment où ces mêmes lobbys et le gouvernement fédéral deviennent presque des vases communicants.
Et cela, les ouailles, autant religieuses que politiques, le savent fort bien. Parlez-en à Marc Ouellet...
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