Durant la dernière année, nous avons tous été obnubilés par les conférences de presse quotidiennes et les médias nous rapportant le nombre de décès attribués à la COVID-19. Au 31 décembre 2020, le Québec comptait 8226 décès attribués au nouveau coronavirus. Mais à quel point ce chiffre est-il exact ? Est-ce que toutes les personnes décédées dans la province en 2020 avaient été testées pour la COVID-19 ? Celles ayant un résultat positif sont-elles toutes décédées à cause du virus ? Combien de personnes, ayant ou non la COVID-19, sont-elles décédées en raison de perturbations liées à des retards dans les procédures de soins, à un accès insuffisant aux services de santé, ou aux conséquences psychologiques et économiques de la pandémie ?
Comparativement à d’autres provinces ou pays, une personne mourant du cancer ou d’une autre maladie, lorsque déclarée positive au virus, est comptée comme un décès dû à la COVID-19 au Québec. De même, on inclut aussi les décès de personnes ayant été en contact avec des cas confirmés, même si elles n’ont pas été elles-mêmes déclarées positives. Parce qu’elle attribue au coronavirus des décès qui auraient pu survenir indépendamment de lui, la façon de faire actuelle biaise probablement le portrait de la pandémie au Québec, mais on ignore à ce jour à quel point.
La mesure la plus appropriée pour estimer à la fois l’impact direct et collatéral de la COVID-19 sur la mortalité, et pour effectuer des comparaisons entre différentes régions, est la mortalité totale, toutes causes confondues. En effet, celle-ci permet d’estimer la « surmortalité », définie comme étant le nombre de décès survenus durant une période au-delà de ce qui aurait été attendu en temps « normal », par exemple en prenant la moyenne des décès survenus dans les cinq années précédentes.
Constat surprenant
L’Institut de la statistique du Québec a récemment rapporté un total de 74 550 décès en 2020, ce qui représente 6750 décès de plus qu’en 2019, ou 7133 décès « excédentaires » comparativement à la moyenne de décès entre 2015 et 2019, en tenant compte de la hausse annuelle de 2 % attendue en raison de la croissance de la population et du vieillissement démographique. Pour la plupart des pays, les statistiques indiquent que la surmortalité est supérieure à la mortalité attribuée à la COVID-19, ce qui est compréhensible puisque la surmortalité inclut à la fois les impacts directs et indirects de la pandémie sur les décès. Il est donc surprenant que le nombre de décès attribués à la COVID-19 en 2020 au Québec soit de 15-20 % supérieur au total des décès « excédentaires ». Comment expliquer cette situation ?
Il est possible que nous ayons connu en 2020 une baisse des décès attendus attribuables à d’autres causes. Les nombreux décès dus à la COVID-19 auraient ainsi comblé et surpassé les gains potentiels réalisés ailleurs. Par exemple, l’augmentation du télétravail pourrait avoir limité le nombre de morts sur les routes, ou les mesures de distanciation sociale pourraient avoir diminué significativement l’impact de la grippe saisonnière (ce qui fut d’ailleurs le cas).
Pourtant, nous commençons à avoir des indications selon lesquelles il n’y ait pas eu de diminution des décès attribuables à diverses autres causes. Selon la Sûreté du Québec, le nombre d’accidents de la route mortels n’a pas diminué en 2020, mais aurait plutôt augmenté de 5 %. De même, les décès reliés à une intoxication suspectée aux opioïdes ou autres drogues ont augmenté de 67 % entre mai et septembre 2020 au Québec comparativement à la même période en 2019 (272 contre 162 décès). Une diminution significative des visites à l’urgence et des hospitalisations non liées à la COVID-19 a aussi été observée en 2020, ce qui devrait avoir contribué à l’augmentation des décès. Finalement, le nombre de chirurgies en attente a grimpé de 30 000 durant la pandémie, portant le total à 145 000. Il est difficile d’envisager que Rosine Chouinard-Chauveau soit la seule Québécoise décédée en attente d’une opération.
Bien que nous n’ayons pas encore tous les chiffres, une portion des décès excédentaires observés en 2020 n’est vraisemblablement pas directement attribuable au virus. Nous surestimons par conséquent de manière importante le nombre de morts causées directement par la COVID-19 au Québec. Corrélativement, il n’y a plus de place pour tenir compte des dommages collatéraux de la pandémie. À moins d’y prêter davantage attention, ceux-ci pourraient se répercuter sur la surmortalité que nous enregistrerons pour plusieurs années à venir.