Chère Véronique,
Comme plusieurs, j’ai eu besoin de quelques jours pour absorber la nouvelle.
Encore aujourd’hui, c’est difficile de choisir les mots pour dire comment je devine et que je vis moi-même l’immensité de ta déception d’avoir dû te retirer de cette course au leadership.
Trop souvent, en politique comme ailleurs, on ne réserve ce terme qu’aux femmes, mais je ne vois pas de manière qui rend mieux ma pensée que de dire que je t’ai trouvée belle, dans cette campagne.
Belle avec ta frange et tes yeux noirs, avec ton sourire lumineux à chacune de tes interventions. Mais belle surtout à cause de ton enthousiasme, de ta détermination et de l’authenticité dont tu as fait preuve depuis le début.
La force
Notre vieille idée d’un leadership patriarcal et tout en sévérité a la vie dure. À plus d’une reprise, j’ai entendu – et toi aussi certainement – des gens demander si tu étais assez « forte » pour être chef d’un parti. Pourtant, comme je disais récemment à un de tes proches : « On sait, pour avoir travaillé avec elle, à quel point c’est difficile de faire changer Véronique Hivon d’idée... »
La force, en politique, elle peut se manifester de plusieurs manières. Dans cette activité tellement humaine qui te gruge et qui te brise, toutes les lois de la nature se mettent en œuvre pour te convaincre de te conformer à une certaine façon de faire, de prendre certains plis. La politique change les gens.
Je le sais pour parfois avoir été de ceux qui tentaient de t’infléchir, avec quelle puissance tu as résisté à toutes ces injonctions t’appelant à modifier ton style. « Véronique Hivon? Elle est tellement bonne, elle pourrait faire n’importe quoi, même de la politique! » J’ai jadis écrit cette blague à ton sujet.
Je peux le dire de toi davantage que de n’importe quelle autre personne que j’ai vu évoluer : la politique ne t’a pas changée. C’est toi qui changes la politique.
La recherche du consensus
Dans cette époque où ce sont ceux qui gueulent et qui insultent qui ont la cote, où on se crie par la tête, caché derrière son écran, il y a quelque chose de foutrement audacieux dans le fait de proposer l’écoute et la discussion pour trouver des voies de passage. Ton approche transpartisane pour aborder la question de l’aide médicale à mourir a pu passer pour banale, c’est pourtant celle qui a permis de la régler sans conflit exacerbé. Rien qu’à comparer avec Ottawa où ils se sont tapochés quand est venu le temps d’en parler.
La recherche du consensus et de la convergence, ça n’a rien de spectaculaire. C’est plate. C’est justement pour ça que c’est courageux de continuer à la porter. Il y a une sorte de résistance, là-dedans.
C’est plus qu’un débat de forme, une discussion sur l’approche. C’est une prise de position sur le fond, sur une idée de la façon dont notre société doit fonctionner, sur la manière dont nous nous traitons entre nous et sur le projet que nous recherchons ensemble.
Nous, le peuple
J’ai toujours compris que, pour René Lévesque, la souveraineté découlerait de plus de démocratie. Que c’est en donnant plus de pouvoirs aux gens qu’elle surviendrait, pas l’inverse où ce serait l’indépendance qui viendrait nous libérer comme par magie. De cette vision sont sorties toutes ses réformes contre la corruption et l’influence de l’argent, pour l’accès à l’information et la diffusion des débats parlementaires et une tentative sincère de modifier le mode de scrutin.
Je ne te demande pas d’approuver mes mots, mais je pense qu’après le départ de son fondateur, le projet du Parti Québécois est graduellement devenu celui de la souveraineté du gouvernement du Québec plutôt que de la souveraineté du peuple québécois.
Dans une discussion que nous avons eue, il y a près de deux ans, tu m’as dit cette phrase : « Le Parti Québécois n’a peut-être pas tant besoin de changer que de revenir à ses origines. »
Je m’en suis souvenu pendant toute cette course. Tu es celle qui s’est montrée la plus fidèle à l’esprit de René Lévesque. Tu es celle qui faisait le plus confiance au peuple du Québec.
Résilience
Dans tout ce contexte, j’espère qu’il ne t’apparaîtra pas trop cruel que je soulève l’ironie que ton retrait de cette course que tu vivais si magnifiquement soit causé par une affection touchant l’organe qui sert à écouter.
Ce serait toutefois une erreur que d’en déduire qu’il te faut changer ton approche.
J’ai discuté plus tôt de ta détermination dans cette campagne. Je n’hésiterais pas à parler de résilience, en pensant à une autre grande femme que j’ai côtoyée.
Avec l’allure que l’élection avait prise, je croyais qu’il te serait difficile de gagner cette fois-ci. Aussi, j’ai évoqué devant toi le scénario où tu finirais deuxième ou même troisième au premier décompte. Maintenant, je peux te confier que ça m’a agacé quand tu m’as répondu : « Oui, mais, ce que je veux, c’est finir première. »
De même, je dois avouer que j’ai été un peu fâché à ton endroit lorsque j’ai entendu que tu avais envisagé de demeurer candidate, contre l’avis de tes médecins, en espérant pouvoir encore compétitionner pendant la quinzaine qui resterait après le repos de trente jours qu’on t’imposait.
Pas de raccourci
Après cette fin de semaine, je me dois d’admettre qu’il n’y avait rien d’autre à attendre de toi.
C’est la même loyauté envers toi-même et ceux qui te soutiennent que tu démontrais. La même volonté de rester entière et de ne pas lâcher, malgré ceux qui pensaient que tu devais renoncer. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » C’est ce que ton équipe et toi auriez mérité que l’on dise, le 7 octobre.
Depuis le début, tu ne t’es autorisé aucun repos, ce qui te coûte peut-être cher aujourd’hui. Tu n’as emprunté aucun raccourci, ce qui t’a coûté cher en début de campagne. Tu n’as pas pris part au jeu du tordage de bras et des retours d’ascenseur auquel d’autres s’adonnent avec autorité. On devrait pourtant savoir que ça prend des amateurs pour croire que c’est en refaisant toujours un peu plus de ce qui ne marche pas qu’on peut obtenir un résultat différent.
Se révéler
Au début de cette course, on te disait indécise et on prétendait que ta recherche du consensus pouvait en fait en être une de compromission.
Je pense qu’il serait désormais malhonnête de parler de toi autrement qu’en évoquant ta combativité et ton refus de lâcher prise. Même les virus doivent se montrer mesquins pour te barrer la route. Tu t’es révélée, dans cette campagne.
Surtout, je ne suis pas assez dans tes confidences pour pouvoir l’affirmer, mais je me permets de croire que tu t’es révélée un peu plus à toi-même dans les derniers mois. J’ai vu en toi une joie et une volonté que je ne te connaissais pas. J’ai reconnu de l’appétit et de l’ambition, celle que l’on déploie pour le groupe plutôt que pour soi-même.
J’espère que tu n’en douteras plus jamais, maintenant, que tu l’as en toi. Que tu sais que tu peux désormais jouer le rôle que tu souhaites dans ce parti et dans ce mouvement.
Et surtout, qu’ils ont désespérément besoin que tu le fasses, aujourd’hui peut-être plus que jamais.
À cette fin, je ne peux que te supplier de prendre bien soin de toi dans les semaines à venir et de t’offrir de beaux moments, avec ton conjoint et ta petite fille.
Ton retrait est douloureux. Soigne ça avec de la douceur.
Reviens-nous en forme. Le Québec a besoin de toi.
Amitiés,
Claude V.
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