Alors que le gouvernement Legault s’apprête à déposer un projet de loi interdisant le port de signes religieux aux personnes en position d’autorité, le débat fait rage pour tenter de définir correctement ce que signifie la laïcité de l’état. Est-ce que ce sont les institutions ou les individus qu’on veut laïciser ?
Au cœur de toutes ces conversations, on finit toujours par retrouver le fameux crucifix de l’Assemblée nationale. Objet religieux pour certains, symbole patrimonial pour d’autres, il n’en reste pas moins que ce Jésus en croix flotte toujours au-dessus de la tête de celui qui préside les travaux parlementaires.
Ce qui est bon pour pitou est bon pour minou
Quand on invoque que le crucifix du Salon bleu est un objet patrimonial, on oublie souvent de mentionner que celui que l’on peut voir aujourd’hui n’a rien d’historique.
D’une part, il n’y avait pas de crucifix à cet endroit avant 1936. D’autre part, la croix qui est en place en ce moment n’est même pas celle qui y a été installée sous le règne de Duplessis, mais bien une croix de remplacement qui date des années 1980.
Le crucifix de l’Assemblée nationale irrite de plus en plus puisque le gouvernement entend interdire le port de signes religieux à des individus sous prétexte qu’ils « représentent l’État » et qu’ils doivent être neutre, mais il refuse de retirer l’incarnation parfaite du religieux à l’endroit même où se définissent nos lois et où se gère cet État que l’on veut laïc.
Si on comprend bien, VOUS devez retirer vos signes religieux, mais certainement pas NOUS. Deux poids, deux mesures ?
Plus encore, le premier ministre Legault indiquait la semaine dernière qu’il n’exigerait pas le retrait des crucifix qui sont toujours accrochés aux murs des mêmes écoles où il souhaite interdire le port des signes religieux. En matière de cohérence, on a déjà vu mieux.
La place du patrimoine
L’argument du patrimoine, cité par celles et ceux qui plaident pour le maintien des différents crucifix dans les édifices gouvernementaux, a tout de même un certain mérite.
Si l’on exclut l’argument que la culture et l’histoire de la majorité devraient primer sur la liberté religieuse des minorités, on peut se pencher sur l’importance des objets d’un point de vue purement historique.
Dans ce cas, est-ce que l’emplacement des objets devrait primer sur leur préservation et leur mise en valeur ?
Le crucifix de l’Assemblée nationale, s’il est si important dans l’histoire de l’institution, ne devrait-il pas être exposé, accompagné d’une notice et d’informations contextuelles, dans le hall de l’Hôtel du parlement, pour que tous les visiteurs puissent y avoir accès ?
Une idée, tiens ! Pourquoi ne pas profiter de la journée portes ouvertes de l’Assemblée nationale, qui se tient traditionnellement le 24 juin, pour organiser une cérémonie publique de déplacement du crucifix vers le grand hall ? Qu’on invite tout le gratin, du maire jusqu’à l’archevêque en passant par les anciens présidents de l’Assemblée et qu’on en finisse une fois pour toutes avec ce débat. Plutôt que de présenter le geste comme une défaite, présentons-le plutôt comme un cadeau offert aux Québécois qui pourront enfin admirer cet objet chargé de sens.
Et si on craint de créer un vide au-dessus de la tête du président, on pourrait facilement remplacer le crucifix par une fleur de lys ou encore par la devise Je me souviens. Thomas Chapais, dans un discours de 1895, en expliquait ainsi la signification : « [...] la province de Québec a une devise dont elle est fière et qu’elle aime à graver au fronton de ses monuments et de ses palais. Cette devise n’a que trois mots : “Je me souviens” ; mais ces trois mots, dans leur simple laconisme, valent le plus éloquent discours. Oui, nous nous souvenons. Nous nous souvenons du passé et de ses leçons, du passé et de ses malheurs, du passé et de ses gloires4 ».
Ces trois mots chargés de sens, que chacun interprète à sa manière, pourraient servir d’inspiration à nos élus à bien des égards tandis que le fameux crucifix pourrait conserver sa valeur patrimoniale et historique dans une belle boite en verre bien éclairée.
Comme le disait si bien Indiana Jones à propos de la Croix de Coronado : « Sa place est dans un musée ! »