La casserole est éminemment chaleureuse; elle est indissolublement liée à la famille et au foyer. Lorsqu’on y songe, on imagine une grosse cuisinière affairée à ses fourneaux et préparant un repas pour une large tablée et, par sa rondeur, elle rappelle les courbes maternelles de la femme enceinte. La casserole est cousine de la poêle et sœur du chaudron, et tous trois sont enfants du graal, ce récipient cylindrique légendaire qu’on retrouve dans l’épique Perceval de Chrétien de Troyes. Le graal est lui-même le digne descendant de la corne d’abondance des Grecs qui trouve son origine dans la corne de la noble chèvre Amalthée qui a nourri Zeus lorsque le roi des dieux n’était encore qu’un poupon. Elle est aussi l’un des attributs de la déesse Gaïa, la mère de tous les dieux. On le constate : non seulement la casserole provient d’une digne lignée, mais elle est profondément ancrée dans la maternité et la fécondité.
On la retrouve bien sûr chez Rabelais, grand humaniste, grand mangeur, grand buveur et, surtout, en ce qui nous concerne, esprit animé par la recherche de la paix comme en fait foi le célèbre épisode de la guerre Picrocholine dans lequel ce grand maître du rire contraste l’attitude modérée et sage de Grandgousier au tempérament belliqueux de Picrochole.
Dans le Quart Livre, toute la famille de la casserole est présente lorsque Bringuenarilles qui, faute de moulins à vent à se mettre sous la dent, a dévoré tous les « poêles, poêlons, chaudrons, coquasses, lèchefrites et marmites » de l’île de Tohu Bohu. L’estomac fragile du géant, plus habitué aux moulins à vent qu’à une batterie de cuisine, est incapable de digérer les casseroles et Bringuenarilles agonise. Plusieurs commentateurs ont voulu voir dans le personnage de Bringuenarilles une allusion à l’empereur Charles Quint qui avait envahi la France en 1544 et 1552. Loin de moi l’idée de rapprocher la mort de deux hommes puissants, la mort de Bringuenarilles à celle toute symbolique de Jean Charest, dont on sent la fin du règne, mais l’envie de dire que notre premier ministre souffre présentement d’une indigestion de casseroles est tout de même tentante.
D’ailleurs, l’expression « passer à la casserole », qui signifie « subir une épreuve difficile » peu connue au Québec, va peut-être gagner en popularité grâce au mouvement étudiant : « Charest a passé à la casserole » serait, ma foi, une assez bonne formule. Et que dites-vous de ce slogan : « En 1815, Napoléon a rencontré son Waterloo; en 2012, Charest a connu sa casserole. » Un peu trop guerrier ?
Peut-être, car la casserole est fille de la paix. On la rencontre bien entendu dans les recettes du grand gastronome Brillat-Savarin qui fit paraître sa Physiologie du goût en 1825. Député à l’Assemblée constituante, il connut la Révolution française et manifesta sa modération lorsqu’il s’opposa à l’introduction de la Terreur dans la ville de Belley dont il était maire.
Dans le conflit actuel, on a vu plusieurs choses surprenantes, certaines heureuses, d’autres moins; je suggère donc une solution pour calmer les tensions entre ceux des manifestants et des policiers qui usent et abusent de la violence : le partage d’un festin. Pour oublier grandes blessures, quoi de mieux qu’un plat de pâtes cuisinées dans une immense casserole ? Peut-être, entre autres choses, les convives réaliseraient-ils qu’ils ne sont que les marionnettes d’une mauvaise pièce de théâtre orchestrée par un gouvernement qui a choisi d’exacerber des tensions déjà vives ?
Dans tous les cas, Brillat-Savarin aurait sans doute insisté pour que le repas comporte plusieurs services afin que les convives prennent le temps de se parler. Dans sa Physiologie, on retrouve d’ailleurs la remarque suivante : « Au premier service […] chacun mange évidemment sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit ; et, quel que soit le rang qu'on occupe dans la société, on oublie tout pour n'être qu'un ouvrier de la grande manufacture. Mais quand le besoin commence à être satisfait, la réflexion naît, la conversation s'engage, un autre ordre de choses commence ; et celui qui, jusque là, n'était que consommateur, devient convive. » Et que dites-vous de cette célèbre remarque : « Les animaux se repaissent ; l’homme mange. L’homme d’esprit seul sait manger. » ? Brillat-Savarin a réussi à conférer une spiritualité à l’activité de se nourrir, activité pourtant éminemment ancrée dans l’animalité ; saurons-nous à notre tour sortir de l’impasse actuelle sans user de la violence, qui est un manque de vocabulaire selon l’un de nos plus célèbres bardes ?
Pour canaliser cette violence, la casserole agit comme un heureux exutoire. Elle a le dos large, elle peut se sacrifier pour une bonne cause et elle ne craint pas de recevoir des coups et d’être cabossée. Grâce à elle, la colère demeure dans les limites des mots et du symbolique : « Charest tu es la casserole, nous sommes la cuillère », disait l’un des slogans observés hier soir dans l’un de ces grands tintamarres qui électrisent présentement Montréal. La casserole est le triomphe de la manifestation contre le renoncement et du rire contre la peur que le gouvernement a voulu imposer avec sa loi spéciale ; la casserole est sans doute, à ce jour, le plus brillant porte-parole du peuple qui veut être entendu sans tomber dans les excès.
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Charest passé à la casserole
La casserole est le triomphe de la manifestation contre le renoncement et du rire contre la peur que le gouvernement a voulu imposer avec sa loi spéciale ; la casserole est sans doute, à ce jour, le plus brillant porte-parole du peuple qui veut être entendu sans tomber dans les excès.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
27 mai 2012"Passer Jean Charest à la Casserole"
Un beau thème pour la Saint-Jean-Baptiste.
Peut-on improviser l'un des chars du défilé pour supporter une marmite avec la figure de Jean Charest 'dont nous apercevons souvent lors des manifestations anti-libérales ?
Bien sûr, les casseroles seront les bienvenues pour un Grand Tintamarre de la Saint-Jean qui aurait fait rêver Bourgault.
Et si le Défilé est cancellé...
...Nous le ferons quand même.