Le français, il faut encore le rappeler à ceux qui vivent les yeux fermés, est mal en point au Québec, et il l’est encore plus à l’échelle du Canada. Guillaume Marois, de l’INRS, a observé que la proportion des personnes parlant le français à la maison sur l’île de Montréal est passée de 56 % à 54 % entre le recensement de 2001 et celui de 2006.
Les données du mathématicien et chercheur Charles Castonguay sont encore plus inquiétantes : elles indiquent qu’en 2006, les francophones n’étaient plus que 79,1 % dans l’ensemble du Québec, 65 % dans la région de Montréal et 49 % sur l’île de Montréal. À l’échelle du Canada, le pourcentage des francophones a chuté de façon dramatique : en 1951, le pays comptait 29,1 % de francophones et il n’en compte désormais plus que 21,6 %.
Au Québec, l’anglais est aussi la langue des études collégiales d’un nombre substantiel de francophones et d’allophones. Dans son essai Le français langue commune, Castonguay observe que « le cégep anglais a attiré 54 426 nouveaux inscrits francophones et 75 024 nouveaux inscrits allophones » entre 1981 et 2010. En tout, c’est un peu plus de 125 000 étudiants francophones et allophones qui ont fait leurs études au cégep anglais. Ces chiffres ne sont pas banals, surtout lorsqu’on sait que la langue des études supérieures est fortement corrélée avec la langue parlée au travail.
Nouveau souffle
L’application de la loi 101 au cégep donnerait un nouveau souffle au français, mais les détracteurs de ce projet y voient une attaque aux libertés individuelles. Cet argument n’est pas convaincant, car le cégep est subventionné à 100 % par l’État et il est donc légitime que la collectivité québécoise se prononce sur la nature qu’elle veut donner à cette institution. Mais les adversaires d’une loi 101 renforcée répliqueront que la vitalité de la langue française au Québec est une responsabilité essentiellement individuelle.
N’imposer aucune loi pour assurer la pérennité du français au Québec et laisser la Charte de la langue française dans l’état où elle est présentement, c’est-à-dire pleine de trous et inachevée, c’est tenter de transformer un problème collectif en un problème que chaque individu devrait héroïquement régler par lui-même sans que la collectivité vienne soutenir ses efforts par une législation conséquente. Et pourtant, comme l’observait déjà Hubert Aquin dans La fatigue culturelle du Canada français, « si le défi individuel que chaque Canadien français tente en vain de relever dépend de la position du groupe canadien-français considéré comme totalité, pourquoi faut-il relever ce défi collectif comme s’il était individuel ? »
Il y a quelque chose de surréaliste à entendre les pourfendeurs d’une loi 101 renforcée : on vilipende la fermeture d’esprit et le repli identitaire de ses partisans, et pourtant, la loi 101, même dans la version renforcée que le PQ avait présentée dans son projet de loi 14, permet aux parents de la communauté anglophone de faire éduquer leurs enfants en anglais, et pourtant, l’étudiant du système francophone est exposé à des centaines d’heures d’anglais lors de son parcours scolaire, du primaire au cégep. Le problème de « fermeture d’esprit » est plutôt inversé : plusieurs d’entre nous sont collectivement obsédés par la maîtrise de l’anglais et considèrent encore cette langue comme étant plus essentielle à maîtriser que leur langue maternelle.
Esprit fermé
Oui, nous devons avoir l’esprit bien fermé pour considérer que l’anglais est le seul chemin possible menant à « l’ouverture ». Le PQ peut être fier de son passé : la loi 101 a permis à une société francophone de vivre enfin en français et, par conséquent, elle a été un vecteur de diversité culturelle. La Charte de Camille Laurin a en effet permis à une minorité culturelle, c’est-à-dire le Québec dans le grand ensemble anglophone nord-américain, de résister à l’assimilation. C’est dans cette perspective que le chef du Parti québécois devrait aborder la question d’une application de la loi 101 au cégep. Ses adversaires libéraux lui parleront de « coercition », de « repli identitaire » : qu’il les laisse braire.
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