Depuis le déclenchement de la campagne fédérale, tout semblait clair : un ciment orange au Québec et une course à trois dans le reste du Canada. À moins de 20 jours du scrutin, la donne a radicalement changé. Le ROC vit une course à deux et l’électorat québécois est mouvant.
Le vote stratégique est rarement très solide. Suffit qu’une variable change et les calculs deviennent byzantins : « Un vote pour X est un vote pour Y. Ou alors est-ce de voter Y qui favorise X ? » Le NPD le constate à la dure vendredi en prenant connaissance du Sondage Léger-Le Journal de Montréal-Le Devoir.
Le ROC est plongé dans une course à deux entre le Parti conservateur et le Parti libéral ; le NPD reprend son statut traditionnel de tiers parti. Dans un tel contexte, il semble clair que le Québec, dont une bonne partie des électeurs comptait bloquer Harper en votant orange, ne pourra empêcher la réélection d’un gouvernement conservateur. Même qu’une partie du Québec pourrait y contribuer : les conservateurs y gagnent des points !
Pendant ce temps — c’est l’élément le plus spectaculaire de ce sondage —, le NPD chute de 10 % au Québec. En une semaine. Un tel affaissement, si rapide, est chose rarissime en campagne électorale. Et s’il se concrétise, il risque de passer à l’histoire. En 2011, avec 43 % des votes au Québec, le NPD avait surfé sur une « vague orange » et raflé 58 sièges. Si le scrutin avait eu lieu la semaine dernière, le NPD aurait recueilli 28 % et beaucoup moins d’élus. À quoi cela est-il dû ?
Au faux débat sur le niqab lors de la cérémonie de citoyenneté, répondront plusieurs. Ce serait trop simple. Les libéraux de Justin Trudeau ont une position quasi similaire à celle de Thomas Mulcair au Québec et ont continué leur lente, mais solide remontée.
Les problèmes de Thomas Mulcair ont commencé avant l’éclatement de l’affaire du niqab. N’a-t-il pas froissé nombre de progressistes québécois — selon l’intéressante hypothèse de Chantal Hébert, dans le Toronto Star — lorsqu’il a adopté, sur les finances publiques, une position d’« austérité » s’apparentant à celle du PLQ au pouvoir à Québec ? Et cela, afin de gagner des points en Ontario, encore traumatisé par l’ère Rae ?
D’autres facteurs ont nui au chef néodémocrate. Notamment, ses nombreuses contradictions. Oui, il a de l’expérience, mais le Mulcair qui fut élu libéral à Québec a défendu des positions totalement inverses à celles que son parti et lui mettent en avant aujourd’hui. Contraste entre Thomas et Tom souligné de manière efficace par Gilles Duceppe au dernier débat. Faire l’éloge de Margaret Thatcher au début des années 2000 pour ensuite, 15 ans plus tard, se joindre à un parti de gauche après avoir été approché par le PCC ; avoir bataillé pour la privatisation du mont Orford pour ensuite la combattre ; prôner la fin des subventions à la Davie au début du siècle, pour, moins de vingt ans plus tard, se plaindre qu’Ottawa ne l’a pas aidée… Il y a ici présomption de duplicité, renforcée par les attaques de Justin Trudeau, selon qui M. Mulcair ne tiendrait pas les mêmes propos en français et en anglais sur le projet Énergie Est de TransCanada ; projet auquel s’oppose une bonne partie de l’électorat du Québec.
À cette présomption s’est ajoutée cette position sur le niqab. Un sujet traité certes par M. Mulcair comme une question délicate, mais qui devait être tranchée par les juges et seulement. Le chef néodémocrate s’est ainsi mis en porte à faux par rapport à l’opinion québécoise. Et une partie de celle du ROC. Ici, des nationalistes qui songeaient voter pour le NPD se sont en plus souvenu que son chef avait farouchement combattu la loi 101 et n’arrivait pas à dire clairement s’il a participé ou non au love-in de 1995.
Le Bloc québécois profite de la chute du NPD. Heureusement, car il sait comme aucun parti pancanadien porter les consensus québécois à Ottawa. Il comble un défaut du fédéralisme canadien : la non-représentation des États fédérés dans les institutions centrales. Il avait été un peu facilement mis de côté, voire négligé depuis le début de la campagne : « Ah, le Bloc, c’est fini ! » Le vote stratégique, aussi légitime soit-il, ne devrait pas conduire à l’autoeffacement d’une minorité nationale comme le Québec. Comme l’Écosse au Parlement de Westminster, le Québec et son État gagnent à avoir des représentants au sein du Parlement fédéral.
Chose certaine, Thomas Mulcair aura fort à faire, au débat de ce soir à TVA et à Tout le monde en parle dimanche, s’il veut retrouver les scores qu’il obtenait en début de campagne. C’est pour ainsi dire mission impossible.
SONDAGE SUR LA CAMPAGNE FÉDÉRALE
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