Entendu à gauche : « Populaire, c’est un retour à l’essentiel. C’est pour ça que Québec solidaire a été créé, pour donner une voix au peuple », a dit Manon Massé, porte-parole de la formation politique en campagne électorale.
Entendu à droite : « Quand on se compare aux autres [partis], nous sommes de loin [celui] qui a la plateforme la plus connectée sur les préoccupations du vrai monde », a laissé tomber Geneviève Guilbault, vice-première ministre du Québec, en campagne électorale pour la Coalition avenir Québec (CAQ), lors d’une rencontre couverte par L’Éclaireur Progrès de Beauce.
Le « moment populiste » que vit le monde occidental aujourd’hui en faisant apparaître et en ouvrant même les portes du pouvoir à des partis populistes n’épargne pas le Québec. Mais sa résonance ici serait au final moins forte, plus soft qu’ailleurs dans le monde, estiment plusieurs observateurs des mutations sociales et politiques. À cause du plein-emploi et du filet social ? Oui, mais pas seulement.
Le populisme se nourrit des « sentiments d’injustice, de la peur d’être déclassé ou d’être méprisé », mais alimente également ces sentiments par ses discours, fait remarquer Chantal Benoit-Barne, experte en rhétorique politique au Département de communication de l’Université de Montréal. Des sentiments qui se sont ancrés à la fin du siècle dernier dans les fondements de la mondialisation et qui se sont accentués avec la crise économique de 2008 et ses conséquences sur une frange silencieuse de la société.
Après avoir subi les conséquences de ces mutations, par le chômage ou l’exclusion, ce « peuple » malmené a décidé de se faire de plus en plus audible.
« Nous avons sans doute moins souffert que d’autres », admet Catherine Côté, qui enseigne à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, pour expliquer la distance entre le Québec et le populisme. « Il y a au Québec un bouquet de mesures sociales qui a un réel impact », et un contexte économique qui peut en laisser quelques-uns dans la marge, certes, mais dans une proportion moindre.
Les politiciens ne sont pas forcément si éloignés que ça de la réalité des citoyens
Cette semaine, dans son bilan annuel sur l’emploi, l’Institut du Québec a indiqué qu’en 2018, le taux de chômage au Québec a été pour la première fois inférieur à la moyenne canadienne, à 3,2 % contre 3,3 %. Et ce, après trois années de création d’emplois — principalement à temps plein — consécutives entre 2015 et 2017.
Natifs et immigrants
Mieux, l’écart entre le chômage des natifs et des immigrants diminue, dans une province où « la croissance annuelle du nombre de postes vacants s’est avérée la plus élevée depuis un an », peut-on lire dans son rapport.
« Le Québec inc. n’a pas réussi à mettre complètement à terre le modèle québécois [cette conception d’une société sociale-démocrate qui combat les inégalités et réduit les disparités entre les plus riches et les plus pauvres] », résume Ricardo Peñafiel, professeur au Département de sciences politiques de l’UQAM, en rappelant au passage que « le populisme est le symptôme d’une crise de la démocratie, plutôt que la cause », et que cette démocratie n’est sans doute pas tant à plaindre ici comparativement à d’autres endroits dans le monde.
Pare-feu social
« Dans notre démocratie du consensus, nous avons conservé des institutions démocratiques qui laissent les opposants s’exprimer, qui permettent aux syndicats de parler et qui ont une horizontalité plus grande », horizontalité face à laquelle « le populisme de renversement », dont la parole a été libérée ailleurs, peine à trouver ses prises pour grimper ici.
L’élite déconnectée d’un « peuple vrai » qui serait méprisé par le pouvoir : cette dualité qui donne du carburant aux populismes français, italien, américain, brésilien… serait également moins palpable dans une société distincte comme l’est le Québec, où « les politiciens ne sont pas forcément si éloignés que ça de la réalité des citoyens», dit Catherine Côté. Il y a une certaine ouverture des élites qui, comme le reste de la société, ont une meilleure écoute envers « le sens commun, l’importance de valoriser les savoirs vernaculaires, le bon sens, les expériences citoyennes, le local », ajoute Chantal Benoit-Barne.
Elle estime que ces composantes du discours induisent moins de tension ici puisqu’elles donnent l’impression d’être « moins méprisés » et « mieux représentés » dans les mots et les gestes des élites.
Un populisme soft
Tout ça mis ensemble, « nous sommes face à du populisme soft au Québec, fait remarquer Ricardo Peñafiel, un populisme qui ne remet pas en question les institutions, mais qui appelle à une refondation des institutions qui nous ont bien servis par le passé ».
« À gauche, nous avons Québec solidaire qui se montre moins manichéen dans son populisme, qui arrive en disant qu’il a la meilleure option et qu’il va tout faire pour convaincre le peuple de le suivre, dans le respect des institutions », ajoute-t-il. Une attitude qui relève d’un populisme pédagogue, mais qui reste dangereuse, souligne Catherine Côté, puisque trop d’éducation et de pédagogie peut finir par ressembler à du mépris envers un peuple qui pourrait alors se rebiffer. En théorie.
C’est que l’appel à la transformation des institutions, par le populisme de droite ou de gauche, pourrait bien finir par s’essouffler au Québec avec l’arrivée dans les arcanes du pouvoir de la génération Y, les millénariaux, ces 15-37 ans « qui sont plus politisés, qui se méfient des institutions actuelles et qui vont chercher eux aussi à les modifier », poursuit l’universitaire.
Cette génération va porter « de nouvelles représentations politiques » qui pourraient répondre à celles que le peuple indigné aimerait voir apparaître aujourd’hui pour mieux envisager demain.
« Et si l’on se sent bien représenté, le populisme, alors, nous n’en avons plus besoin », conclut-elle.