Alors que l’épidémie de coronavirus semble amorcer sa résurgence dans plusieurs pays à travers le monde, forçant certains à envisager de nouvelles mesures de confinement, la Suède, et son approche singulière face à la crise sanitaire de la COVID-19, continue de se démarquer. Les cas de contamination y sont en baisse sur son territoire depuis le début du mois de septembre, comparativement à une hausse enregistrée chez ses voisins européens.
Une tendance qui pourrait confirmer en partie l’efficacité à long terme de son modèle controversé, favorisant l’éducation et la responsabilisation de la population plutôt que l’adoption de mesures contraignantes comme le confinement, indique l’épidémiologiste en chef du pays, Anders Tegnell.
« Je pense que la stratégie fonctionne, a indiqué au Devoir mercredi depuis Stockholm le grand patron de la gestion de la crise sanitaire en Suède. La baisse des cas est en partie due au fait que les conseils de l’agence de santé publique ont été très bien suivis par la population. Depuis le début, ces recommandations ont toujours été les mêmes. Elles visent une gestion durable de la crise, et l’adhésion y est encore très élevée ».
Pas de confinement, mais un appel à la distanciation sociale et au télétravail dans la mesure du possible. Pas de masque obligatoire — pas même recommandé —, mais des horaires de transport en commun revus pour éviter les pointes d’affluence et des rassemblements interdits au-dessus de 50 personnes. Les élèves de moins de 16 ans ont repris le chemin de l’école depuis la mi-août. Les garderies, bars, restaurants, salles de sport n’ont jamais fermé. Les personnes âgées de plus de 70 ans sont invitées à s’auto-isoler. Et six mois après le début de la crise, les chiffres n’évoquent pas la catastrophe que certains avaient annoncée.
Pis, dans les 14 derniers jours, le nombre de nouveaux cas de COVID-19 détectés en Suède se maintient à un niveau très bas, à 29 cas pour 100 000 habitants, alors que ces cas amorcent une remontée spectaculaire en Espagne (282), en France (163), au Royaume-Uni (65) ou en Belgique (75), selon les plus récentes données du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
Je pense que la stratégie fonctionne. La baisse des cas est en partie due au fait que les conseils de l’agence de santé publique ont été très bien suivis par la population. Depuis le début, ces recommandations ont toujours été les mêmes.
Ailleurs dans le monde, en Israël, le gouvernement a même annoncé cette semaine le retour au confinement à partir de vendredi, et ce pour trois semaines, afin de juguler l’amorce d’une deuxième vague. Ce sont 8000 nouveaux cas qui y ont été détectés en deux jours à peine. La Suède en a déclaré 3000 cumulés pour les deux dernières semaines.
Depuis mars, la COVID-19 a fait 57 morts par tranche de 100 000 habitants dans ce pays, contrairement à 68 pour 100 000 au Québec qui a opté pour une approche différente face à la pandémie.
« Stratégie dangereuse »
« La stratégie suédoise était extrêmement dangereuse, concède en entrevue Cecilia Söderberg-Nauclér professeure d’immunologie à l’Hôpital universitaire Karolinska de Stockholm, puisque nous n’avions aucune connaissance sur les effets d’un scénario sans confinement qui a finalement causé la mort de 5800 personnes. » C’est 63 de plus qu’au Québec. Ces décès, au sein d’une population de 10 millions d’habitants, ont été principalement enregistrés dans les résidences pour personnes âgées du pays. Le gouvernement a admis depuis avoir été mal préparé pour faire face à la crise dans ces établissements.
« Cela aurait pu être pire, ajoute-t-elle en évoquant une possible “immunité préexistante” dans la population suédoise face à la COVID-19 pour expliquer la trajectoire atypique du pays au temps de la pandémie. Nous avons eu beaucoup de chance. Nous allons voir comment les choses vont évoluer dans les prochains mois, mais je suis désormais moins inquiète qu’au printemps dernier. »
Actuellement, 15 % de la population de Stockholm, la plus touchée par le coronavirus, aurait développé des anticorps. Ici, une analyse d’Héma-Québec dévoilée fin août établit ce taux à 3 % pour Montréal, épicentre de la pandémie au Canada.
« La Santé publique de Suède a toujours affirmé que la lutte contre la COVID-19 était un marathon et non pas un sprint, résume Stéphane Paquin, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP) à Montréal et spécialiste de la Scandinavie. Le confinement y a été moins prononcé qu’ailleurs et les effets du déconfinement y sont désormais plus faibles ». Mais selon lui, il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de cette approche sur les autres, puisqu’il faut attendre de sortir de la crise sanitaire pour pouvoir en dresser le bilan.
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« Les prochains mois sont difficiles à prévoir, prévient le microbiologiste Jan Albert, joint en Suède mercredi. Il est un des experts du gouvernement en matière de lutte contre la COVID-19. Le pays va connaître probablement plus de cas cet automne et cet hiver, mais, espérons-le, pas autant qu’au printemps et aussi moins que dans d’autres pays », et ce, en raison du fait, selon lui, que la population accepte les recommandations de l’agence de santé publique, recommandations qui n’ont pas changé depuis ce printemps.
Responsabilisation
Selon un récent sondage mené par l’Agence de la protection civile, 73 % des Suédois font confiance aux autorités sanitaires, et 52 % font confiance au gouvernement du social-démocrate Stefan Löfven qui, en temps de crise, se fait la simple courroie de transmission des directives de la Santé publique et de ses scientifiques.
« Les enquêtes régulières au sein de la population montrent que 9 Suédois sur 10 suivent les recommandations de la Santé publique et ont modifié leur comportement pour respecter la stratégie durable visée par le gouvernement, explique au Devoir Anna Mia Ekström, spécialiste en maladies infectieuses à l’Université Karolinska. Pour le moment, cela va très bien puisqu’il y a eu une nette diminution à la fois du nombre de nouveaux cas, du nombre de cas nécessitant des soins intensifs, et du nombre de décès depuis la mi-avril, malgré une augmentation très rapide des tests de dépistage ».
« Nous anticipons une propagation continue, mais à un faible niveau dans les prochains mois », assure Anders Tegnell qui n’écarte toutefois pas le risque de « foyers d’éclosion localisés ». « Le défi va être de les trouver rapidement pour réduire et contenir la propagation », ajoute-t-il.
Mais contrairement à d’autres pays qui préparent leurs troupes à un retour possible à des mesures de confinement, la Suède, elle, parle désormais « d’atténuer » celles qu’elle a prises depuis mars dernier, si « la contamination devait se maintenir dans son état actuel », dit M. Tegnell.