La décision de la commission Bouchard-Taylor d’interpréter son mandat de façon très large sera-t-elle une bénédiction ou une malédiction ? Jean Charest doit déjà s’en inquiéter.
À l’origine, la question était pourtant simple. Les Québécois avaient besoin d’être éclairés sur ce que sont les accommodements raisonnables, qui peuvent ou non être consentis par les institutions publiques, dans le respect des lois, des chartes, de la Constitution et des conventions internationales. Le gouvernement pourrait ainsi mieux définir des balises pour les institutions qui gèrent les demandes, rares mais très médiatisées.
Québec a donc créé, le 8 février, une commission « de consultation sur les pratiques d’accommodement liées aux différences culturelles ». Deux intellectuels respectés la présideraient : l’auteur et philosophe Charles Taylor, et l’historien et sociologue Gérard Bouchard. Jusque-là, tout allait bien. Mais les commissaires ont décidé de ne pas « restreindre leurs travaux à la seule question des accommodements ». Ils invitent plutôt les Québécois à réfléchir à un problème « de nature plus fondamentale » : la « gestion de la diversité ». Oups !
Le citoyen ordinaire qui ne s’y retrouvait déjà pas dans les concepts liés aux accommodements va devoir suivre un cours intensif sur l’un des grands problèmes de la planète. Partout, en Europe comme en Asie, en Afrique, aux États-Unis, la « gestion de la diversité » est un enjeu. Dans bien des pays, cette difficile gestion se traduit par des émeutes ou des massacres. Pas au Québec ! Un Chinois — pragmatique — se demanderait pourquoi, dans les circonstances, les Québécois vont subir une opération à cœur ouvert assortie d’une vaste thérapie collective. Une petite intervention au laser n’aurait-elle pas suffi ? La porte grince et il faut refaire la plomberie ? Avec les risques de dégâts afférents ?
« Interculturalisme, identité, rapports avec les communautés culturelles, immigration, laïcité et culture québécoise comme francophonie » : voilà le nouveau menu de la commission !
Le « problème » québécois se résumait pourtant à quelques incidents, certains faux de surcroît, a-t-on déjà appris grâce aux enquêteurs de la commission. Vous vous souvenez de l’histoire de la cabane à sucre ? Des gens n’avaient pas pu manger de porc dans leurs fèves au lard à cause de quelques musulmans. Les bonnes âmes pleuraient la perte de l’identité québécoise. Eh bien, cette histoire était fausse ! Depuis des mois, certains journalistes, flairant la bonne affaire, enfreignent les règles du métier pour produire une croustillante manchette. Les intolérants et les xénophobes adorent !
Les travaux des enquêteurs inciteront peut-être les fautifs à faire preuve de plus de rigueur. Car les gens ont besoin de clarté. Et trop de médias entretiennent la confusion. Deux exemples.
D’abord, l’incident entre le YMCA et une yeshiva d’Outremont n’est pas une question d’accommodement raisonnable ! C’est une chicane de voisins. Aucune institution publique n’était en cause. Au lieu de se plaindre de l’odeur des sardines grillant dans la cour d’à côté, le voisin se plaignait de ce qu’il voyait par la fenêtre. Que médias et politiciens en aient fait toute une histoire est désolant.
Ensuite, pourquoi politiciens et journalistes ont-ils amalgamé, la semaine dernière, seuil d’immigration et accommodements ? Bon nombre de demandes d’accommodements religieux sont le fait de gens qui ne sont pas des immigrants ! Les Témoins de Jéhovah, notamment, sont en majorité des Québécois de souche, et on leur consent des accommodements.
L’intervention au cœur que Charles Taylor et Gérard Bouchard s’apprêtent à faire subir aux Québécois n’est pas sans risques. Le gouvernement Charest aura fort à faire pour remettre l’organe dans le corps si l’opération dérape. Voilà que Mario Dumont y voit déjà les bases d’une Constitution québécoise ! Rien de moins.
Pourtant, la question de départ était simple. Québec voulait des balises pour guider les institutions publiques dans leurs décisions d’accommodements religieux et culturels. Et un bon pédagogue pour les expliquer aux citoyens. Rien de plus. L’identité québécoise grandissait bien, en force et en sagesse, en se préoccupant peu des émotifs qui la disaient menacée.
Taylor et Bouchard, en intellectuels sérieux qu’ils sont, ont choisi de fouiller les tréfonds de la plomberie. Souhaitons que leurs travaux soient source de clarté !
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