Donald Trump a reproché aux Kurdes de ne pas «les avoir aidés en Normandie». Il aurait pu évoquer la promesse des vainqueurs de 1918 en faveur d’un Kurdistan indépendant.
C’est l’une de ces phrases typiquement trumpiennes que le président américain a prononcée mercredi à la Maison-Blanche en conférence de presse: «Les Kurdes ne nous ont pas aidés en Normandie», faisant ainsi référence à la Seconde Guerre mondiale. Que dire d’une telle phrase prononcée à propos de combattants qui, depuis 2014, ont payé en Syrie le prix fort en luttant contre l’État islamique?
Donald Trump aurait pu d’abord préciser que les Kurdes - peuple sans État éparpillé entre plusieurs pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie) - faisaient partie, mais pour beaucoup à leur corps défendant, de la Turquie durant la Seconde Guerre mondiale, pays signataire en 1941 d’un pacte d’amitié avec l’Allemagne nazie.
Le président américain aurait pu surtout évoquer la Première Guerre mondiale. Lors de celle-ci, l’Empire ottoman, dont faisaient partie les Kurdes, est là encore du côté des Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie), mais connaît rapidement une véritable déroute face aux Britanniques, aux Russes et aux Français. À Constantinople, l’autorité du sultan est en réalité très affaiblie: depuis 1908, un groupe de nationalistes turcs, les «Jeunes Turcs» dirigés par Enver Pacha, ont pris le pouvoir. Ils s’opposent à un empire multiethnique et promeuvent une nation turque ethniquement homogène. «Au début, les Turcs se sont servis des Kurdes comme supplétifs contre les Arméniens», explique Fabrice Balanche, géographe et maître de conférences à l’Université Lyon-2. De fait, en 1915, les tribus kurdes, de confession musulmane, ont participé au génocide contre les Arméniens, de confession chrétienne. Mais les Kurdes ont également souffert de cette politique nationaliste, avec des déportations violentes des populations kurdes de l’est de l’Anatolie vers le Sud et l’Ouest, les «Jeunes Turcs» craignant que les Kurdes prennent parti pour les Alliés. Selon Dominik Schaller et Jürgen Zimmerer, près de 700.000 Kurdes ont été déportés par les Turcs durant le premier conflit mondial et près de la moitié d’entre eux a péri.
Du traité de Sèvres au traité de Lausanne
Les Kurdes ont accueilli avec joie le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes défendu par le président américain Woodrow Wilson dès 1917 dans ses «Quatorze points» et firent part de leur demande d’indépendance lors de la conférence de paix de Paris en 1919. Celle-ci fut accueillie favorablement, notamment par les Américains, puisque le traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920, prévoyait le recul de l’Empire ottoman en Anatolie, avec la création d’une grande Arménie et d’un État kurde. Un tel accord aurait pu conduire pour la première fois à la création d’un Kurdistan indépendant.
Mais il n’en fut pas ainsi, et la promesse faite aux Kurdes s’envola, les Américains étant revenus, dès 1920, à une politique isolationniste. Surtout, à Istanbul, le gouvernement du sultan Mehmed VI signa l’accord, mais son concurrent d’Ankara, le mouvement national dirigé par Mustafa Kemal, le refusa. Ce fut la guerre d’indépendance turque, remportée par le camp kémaliste, elle fit tomber l’Empire ottoman en 1922. Un an plus tard, les Occidentaux signaient avec la Turquie le traité de Lausanne, qui venait remplacer le traité de Sèvres, devenu caduc. Plus favorable à la Turquie militairement victorieuse, il enterra le projet d’une Grande Arménie, soutenue par les Français, et d’un Kurdistan.
Par la suite, la Turquie nationaliste et laïque d’Atatürk fut extrêmement rude avec les populations kurdes. «Plusieurs révoltes dans les années 1920 et 1930 furent violemment réprimées, notamment parmi la minorité alévis [une branche du chiisme, NDLR]», précise Fabrice Balanche. De nombreuses familles kurdes actuellement présentes dans le nord de la Syrie s’y sont d’ailleurs installées pour fuir les persécutions turques. Elles pourraient devoir être obligées, derechef, de descendre plus au sud en Syrie.
Pendant la Guerre froide, alors que la Turquie fut intégrée à l’Otan et occupait une position stratégique vis-à-vis de l’URSS, une partie des Kurdes se tournèrent vers le marxisme, donnant naissance au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui est toujours la bête noire du régime turc. En Irak en revanche, le Kurdistan, qui dispose d’une large autonomie par rapport à l’État central, ne soutient pas le PKK et coopère, notamment en matière d’hydrocarbures, avec la Turquie.