Les Québécois ont une propension marquée à déboulonner les statues devant lesquelles ils se sont un jour inclinés. C'est une des rares sociétés où persistent un anticléricalisme et un sentiment antireligieux violents, en dépit du fait que l'Église a perdu toute son influence et que la laïcité est la profession du plus grand nombre. Ce qui ne nous empêche pas d'avoir inconsciemment reporté dans la sphère politique des comportements quasi religieux. Pour de trop nombreux Québécois, l'enfer de naguère est désormais sur terre et plus particulièrement dans notre Parlement.
La détérioration du climat politique actuel, où la responsabilité du gouvernement est sans conteste très grande, s'applique aussi à l'opposition. Comme si la classe politique tout entière ne se rendait pas compte que les institutions dans lesquelles elle agit commandent du décorum et de la dignité. La violence verbale des échanges à l'Assemblée nationale, inspirée certes par celle qui existe à la Chambre des communes à Ottawa, demeure un indice du manque de respect des élus pour la fonction même de député et ultimement pour leurs électeurs. Heureusement, un certain nombre, des deux côtés de la Chambre d'ailleurs, se refusent à pratiquer l'incivilité parlementaire qui détériore l'atmosphère. Les foires d'empoigne et les insultes, aussi divertissantes soient-elles pour les amateurs de lutte, éclaboussent les débats et finissent par les vider de leur contenu.
Nous constatons depuis plusieurs mois une transformation des rôles. Les adversaires en présence sont devenus des ennemis et, en ce sens, les acteurs de la politique québécoise sont en guerre et leurs troupes et partisans s'affrontent avec brutalité et mépris sur toutes les tribunes qu'offre la technologie actuelle. J'en veux pour exemple le combat que se sont livrés des lecteurs du Devoir à la suite de ma chronique de la semaine dernière. Au-delà des attaques contre l'auteure jugée apte à la retraite, voire à l'expulsion du journal, les uns et les autres en camps retranchés ont pratiqué une outrance où la haine était à fleur de peau. La dénonciation des souverainistes «aux pratiques nazies» et des fédéralistes «vendus», «traîtres» et «collabos» est le fait de gens scolarisés, politisés et socialement privilégiés. Comme quoi les diplômes universitaires et l'accès à la culture ne mettent pas à l'abri de l'intolérance et de l'aveuglement idéologique.
Il faut s'inquiéter de la cohorte de désabusés de la politique, dont une proportion préoccupante de jeunes, ceux-là mêmes qui influeront de leurs votes sur l'avenir de ce pays dont ils ne rêvent pas à l'ancienne manière de leurs parents. Devant le spectacle désolant qu'ils ont sous les yeux, pas étonnant qu'ils retournent à leur vie virtuelle avec leurs deux mille amis, leur moi à épanouir, leurs droits individuels érigés en dogmes et leur terrible solitude enfouie sous le décor sans frontières, sans passeport et sans enracinement du cybermonde, des iPads, iPhone et autres biberons de la vie adulte moderne.
La crise politique actuelle ébranle les institutions comme celles-ci l'ont rarement été dans les dernières décennies. L'usure du pouvoir à elle seule n'explique pas le phénomène. L'opposition péquiste qui piaffe d'impatience, sondages à la main, n'échappe pas à une autre usure, celle d'avoir à se réenchanter afin de trouver les arguments nouveaux pour convaincre la majorité de revivre le psychodrame d'un référendum. L'institution politique est en danger aussi parce que les acteurs, tous les acteurs, n'ont su renouveler leur inspiration et leurs discours.
Dans le contexte actuel où le mot «député», dans le meilleur des cas, fait sourire et, dans le pire, suscite le mépris, quelles sont donc les âmes nobles et dignes, généreuses, qui vont consentir, au risque d'être immolées sur la place publique, à faire le saut en politique? Et les plus jeunes vont-ils sacrifier leur «qualité de vie» ou leur envie de s'enrichir pour remplir une fonction dévalorisée socialement? La politique devrait attirer les meilleurs des citoyens. Des gens honnêtes, habités par un idéal, prêts à consacrer des années au service d'une cause noble, la démocratie agissante.
Ceux qui publiquement remettent en cause ces jours-ci la légitimité du gouvernement élu majoritairement, laissant ainsi flotter l'idée d'une obligation pour ce dernier de démissionner, s'avancent sur un terrain plus que glissant. La sanction populaire s'exerce par le processus électoral et le premier ministre détient seul le pouvoir de déclencher des élections. Dans notre système de droit, les suppositions, les dénonciations de tous ordres doivent obligatoirement être mises en preuve.
Le gouvernement actuel aura sans doute à répondre de certaines pratiques irrégulières peut-être illégales, mais la démonisation actuelle qui s'abat sur ce dernier et la diabolisation du premier ministre Jean Charest par ceux qui rêvent à son départ se répercutent sur l'ensemble des acteurs politiques, menaçant ainsi la dernière institution politique québécoise où nous avons toujours été «maîtres chez nous» pour écrire notre histoire.
Pendant ce temps, le Canada anglais se divertit de notre autoflagellation.
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denbombardier@videotron.ca
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