Selon ce que nous apprenait Robert Dutrisac dans Le Devoir la semaine dernière, une cliente musulmane qui ne souhaite pas recevoir un service public par un homme peut légitimement, selon la RAMQ, revendiquer l'exclusion de ce dernier au profit d'une employée. Si on lui refusait cet accommodement, elle serait victime d'une violation de sa liberté de croyance religieuse dans l'accès à un service public: elle n'a pas à s'adapter aux valeurs québécoises, c'est au système de s'adapter à elle.
En revanche, un client athée, catholique ou d'une autre confession ne souhaitant pas recevoir un service public par une femme voilée doit recevoir ce service tel qu'on le lui rend. C'est à lui de faire des compromis quant à ses croyances et, à défaut de ce faire, on présume que c'est lui qui a choisi de refuser la prestation du service. Telle semble être la pratique de la RAMQ, à la lumière du texte publié dans Le Devoir.
Si c'est bien le cas, voilà un exemple de l'absurdité à laquelle peut mener une fondamentalisation excessive de la subjectivité religieuse et individuelle à laquelle les décideurs publics ne semblent plus oser imposer de limites raisonnables par crainte, peut-être, de poursuites ou d'être taxé d'institution discriminatrice. S'il faut reconnaître l'importance de l'accommodement raisonnable comme mesure d'intégration de groupes minoritaires ou marginalisés, les deux types de demandes qui précèdent nous semblent déraisonnables puisqu'elles légitiment, au nom même du droit à l'égalité, l'intolérance ou ont un effet d'exclusion: la première va à l'encontre d'une valeur fondamentale, soit l'égalité entre les hommes et les femmes qui bénéficie aux personnes des deux sexes, alors que la seconde a pour effet de violer un droit individuel en ayant pour effet d'exclure une employée simplement parce qu'elle porte un voile.
Droits et valeurs
Cependant, la Commission des droits de la personne du Québec ne semble pas considérer que les valeurs fondamentales puissent parfois constituer des balises opposables à certaines demandes d'accommodement. En effet, selon la Commission, un accommodement ne sera déraisonnable que s'il a un effet d'exclusion direct sur un employé identifiable de l'État puisqu'il porterait alors atteinte au droit à l'égalité de celui-ci: la liberté de religion d'une personne s'opposerait en effet au droit à l'égalité d'une autre.
Tel est l'un des motifs que la Commission évoquait lorsqu'elle concluait à la raisonnabilité de la politique de la SAAQ selon laquelle un client peut, pour se conformer à sa religion, demander à ce qu'une personne du sexe souhaité lui fasse passer, ou fasse passer à sa conjointe, l'examen de conduite. Dans un tel scénario, notait la Commission, si le dossier du demandeur n'a pas été préalablement assigné à un agent du sexe non désiré, l'accommodement demandé n'aurait aucun effet d'exclusion précis.
Pourtant, une telle demande, bien que ce ne soit pas nécessairement son objet ou l'intention de la personne qui la formule, n'a pas moins pour effet de dévaloriser le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes. S'il n'est pas souhaitable que ce principe prime de manière absolue dans toutes circonstances, il n'en demeure pas moins qu'être avec un employé ou une employée de l'État dans une voiture pour y subir un examen de conduite n'implique pas le même genre de rapport que celui entre une patiente et son médecin, par exemple. Dans ce dernier cas, il est aisé de comprendre que le principe d'égalité entre les sexes puisse céder le pas à la vie privée et à l'intimité personnelle du patient.
Récemment, la Cour suprême laissait en outre entendre implicitement qu'il y a des limites à l'accommodement des préférences de tout un chacun en jugeant raisonnable la prise de photo obligatoire comme condition à l'obtention d'un permis de conduire. Bien entendu, il est difficile de déterminer des valeurs communes à l'aune desquelles seraient évaluées les demandes d'accommodement. Il s'agit d'une tâche à laquelle politiciens, juges et citoyens doivent s'affairer.
L'incohérence de la Commission?
Dans ce que nous apprend le texte de M. Dutrisac, la Commission est par ailleurs d'avis que le refus de la RAMQ de répondre à la demande de M. Robichaud, qui ne souhaite pas être servi par une employée voilée, est légitime puisque cela ne constituerait pas de la discrimination contre celui-ci sur la base de l'un des motifs interdits de distinction énumérés à l'article 10 de la Charte québécoise et que la laïcité de l'État n'est pas un principe juridique au Québec.
À mon avis et bien qu'il soit difficile de critiquer la position de la Commission compte tenu du caractère apparemment confidentiel de sa décision dont on ne connaît pas tous les motifs, celle-ci a eu raison de débouter M. Robichaud, mais pour ce qui nous semble être les mauvaises raisons. En effet — mais l'histoire ne nous dit pas si tel était l'un des fondements de sa demande —, si l'élément-clé de la liberté religieuse est la sincérité personnelle ou subjective en une croyance, comme nous l'enseigne la Cour suprême, la Charte devrait alors en principe protéger autant la liberté de conscience, la liberté de religion et le droit à l'égalité des membres de minorités religieuses et culturelles que ceux de personnes comme M. Robichaud dont les croyances sont juridiquement aussi valables que celles des autres.
Ainsi, si la Commission avait été conséquente avec elle-même et le raisonnement qu'elle favorisait dans le dossier de la SAAQ, elle aurait pu saisir l'occasion et répondre à M. Robichaud que sa demande était déraisonnable puisqu'elle avait pour effet d'exclure directement une employée de l'État et portait ainsi atteinte au droit à l'égalité de cette dernière. À moins que la RAMQ et la Commission, sans le dire officiellement, n'aient pas jugé crédible ou sincère la demande de M. Robichaud qui pourrait avoir fait cette demande simplement pour «tester» ou pousser plus loin la logique de l'accommodement.
Si tel était le cas, c'est-à-dire en l'absence de sincérité de la croyance, la RAMQ n'était pas juridiquement obligée de répondre à la demande, d'autant plus que le droit à l'égalité ne protège dans la Charte que l'égal bénéfice des droits et libertés reconnus. Puisque la revendication de la liberté de religion est conditionnelle à la sincérité de la demande d'accommodement, il s'ensuit qu'une absence de violation de cette liberté pour absence de sincérité ne saurait non plus être discriminatoire.
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David Robitaille - Professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Ottawa
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