Oui, il existe, ce choc des valeurs, et il n'est pas propre au Québec, il est mondial. Imaginez, nos deux commissaires l'ont reconnu dans leur document de consultation (p. VI), mais ils n'y sont plus revenus, comme si c'était une affaire spécifiquement québécoise due au manque d'ouverture et à l'ignorance des Québécois d'origine canadienne française. Ce préjugé à notre égard explique l'objectif pédagogique qu'ils se sont fixé: nous faire voir et reconnaître les bienfaits de la diversité culturelle, comme si nous ne les connaissions pas et n'en profitions pas déjà! De plus, je l'ai déjà relevé dans une chronique précédente ("[le mandat->9866]"), si on regarde du côté de l'Occident tout entier, où se vit autant, sinon plus, ce choc des valeurs, nos deux larrons ont déjà leur explication du phénomène: c'est la faute de "vieilles identités déstabilisées par l’essor d’une diversité qui entend se perpétuer" (ibid). - Déstabilisées sous un tel choc existentiel et moral, certes. Mais fautives? Exagérément? Sans raison, par simple peur de l'autre? - Voyons cela de plus près.
Ce choc, il est d'abord venu du fait que ce qu'on appelle la modernité a remis en cause des traditions, des pouvoirs (dont celui de l'Eglise et des monarques de droit divin), des modes de vie, des us et coutumes qui ne convenaient plus aux nouveaux idéaux du Siècle des Lumières: primauté de la raison sur la foi, esprit de progrès, liberté, égalité, fraternité. Il revient ensuite, particulièrement dans la seconde moitié du XXe siècle, avec le développement fulgurant de l'informatique et de l'avènement de la société post-industrielle (voir Alvin Toffler, "Le choc du futur"). Enfin, et nous sommes en plein là-dedans, il est maintenant causé par ces grandes vagues d'immigration qui vont surtout, sinon essentiellement, de l'est vers l'ouest et du sud vers le nord.
Or, ces vagues migratoires ont amené avec elles des nouveautés fort intéressantes et appréciables, avantageusement adoptables et assimilables, même, car notre civilisation occidentale est loin d'être parfaite. Pourquoi voyage-t-on si volontiers et s'intéresse-t-on tant à des philosophies non occidentales, sinon, justement, parce qu'il nous manque quelque chose qui se trouve peut-être dans ces autres civilisations? Pourquoi cet engouement pour le bouddhisme, zen ou autre, pour l'hindouisme, le yoga, le taoïsme, le chamanisme, l'animisme amérindien et même l'islam, et als, sinon parce que nous y cherchons quelque chose de supérieur à ce que nous avons déjà, une complémentarité qui nous fait, dans certains cas, cruellement défaut?
Mais, revers de la médaille, ces vagues migratoires ont aussi charrié avec elles des anciennes croyances, us et coutumes que nous avons jadis, et pas si longtemps dans certains cas, rejetés au nom même de nos valeurs et de nos principes, parce qu'ils les heurtent parfois de plein front et qu'on nous demande, par la voie juridique appelée "accommodements raisonnables", d'accepter et de tolérer. La plupart des arrangements qui ont fait sauter la marmite de notre tolérance (oui-oui!) touchent directement des principes démocratiques fondamentaux dont celui de l'égalité entre hommes et femmes et de la séparation entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire la laïcité. Principes que tout le monde (ou presque) s'entend pour déclarer non négociables.
On ne dira jamais assez que la question des accommodements raisonnables n'est pas directement reliée à celle de l'immigration (les nouveaux arrivants à intégrer convenablement), puisque la majorité des demandes d'accommodements problématiques ont été faites par des membres de communautés culturelles généralement implantées ici depuis un bon bout de temps, et certaines autres par des membres d'églises chrétiennes pas mal plus rigides et moins accommodantes et souples que la nôtre. Signalons aussi que les plus féroces défenderesses du voile sont souvent des Québécoises de souche converties à l'islam, et rappelons que le premier cas de contestation du port du voile à l'école a été soulevé en septembre 1995 par une fillette de 12 ans, Emilie Ouellet, qui s'est présentée en classe avec un hijab alors que le code vestimentaire de l'institution ne tolérait aucun couvre-chef. Par contre, inutile de se cacher la tête dans le sable, la majorité de ces accommodements problématiques sont venus principalement de membres de deux religions précises: la juive hassidique (et non juive tout court), et la musulmane. C'est pourquoi on peut juger qu'elles sont effectivement "pointées du doigt", voire "stigmatisées", puisqu'on ne peut faire autrement que d'en parler, tout simplement! (Mais l'abus des mots étant ce qu'il est, ça a bien l'air qu'identifier, c'est stigmatiser.... - Passons, pour le moment, sur cet autre abus de langage.)
Ne faisons pas davantage l'autruche en niant, ou en voulant taire le fait que le choc actuel des valeurs oppose l'Occident et l'Orient et, par ricochet, la Modernité et la Tradition. Il est à remarquer que les relations Nord-Sud sont pratiquement en dehors de ce choc moral et culturel. En effet, à ce niveau, pas ou peu de problèmes avec les immigrants ou immigrés venant de l'Amérique du sud, des Antilles ou des Caraïbes. Pas de problèmes, non plus, avec ceux venus d'Europe, tant de l'Est que de l'Ouest. Mais bouleversements majeurs avec la religion musulmane et son extension rapide dans le monde, car "l'Orient" qui s'oppose à l'Occident et à ses valeurs, c'est l'islam. Du moins, un certain islamisme, qu'on appelle le fondamentalisme intégriste islamique, et non l'islam tout court. Curieux paradoxe, l'Orient nous amène d'abord et avant tout au continent asiatique, mais ce n'est pas ce continent-là qui crée le choc des valeurs que nous connaissons. Nul problème avec le bouddhisme, le taoïsme, le shintoïsme et als, sauf peut-être, dans une certaine mesure, assez petite, le sikhisme. Le Dalaï-lama est presque aussi vénéré en Occident, sinon plus, que peut l'être le pape. Mais l'aspect ostentatoire et rigoriste d'un certain islamisme, lui, cause problème, comme aussi celui des Juifs hassidiques.
A l'intérieur de ces deux grandes religions monothéistes, le judaïsme et l'islam, le fondamentalisme intégriste est minoritaire mais bien visible et, dans certains cas, très actif. Et, point qui nous occupe et nous préoccupe, ce qui fait problème, avec ces fondamentalismes religieux, auquel on doit ajouter celui de certaines églises chrétiennes, ce sont des valeurs et des comportements qui heurtent les nôtres par leur archaïsme et, tout particulièrement, leur représentation des rapports hommes-femmes. Considérer que ce qui est écrit dans la Bible, l'Evangile ou le Coran est une vérité immuable qui a été édictée pour tout temps, tout lieu, toutes les sciences et pour toutes les activités humaines et ce, jusqu'à la façon de s'habiller et de manger; considérer qu'il y a une différence de nature entre les hommes et les femmes, différence qui implique nécessairement une différence de droits sur le plan juridique, familial et social mettant toujours l'homme au premier plan, puisque c'est lui, et non elle, qui est "le lieutenant d'Allah sur terre" (dixit Motahhari dans son livre "Les droits de la femme en islam"); devoir cacher la chevelure féminine parce qu'elle est un trop puissant attrait sexuel pour l'homme; devoir finalement cacher tout le corps féminin, puisque celui-ci est source de péché, le péché du plaisir de la chair; et, pour toutes ces raisons, exiger que la femme s'abstienne de serrer la main d'un homme, et qu'un homme ne doive pas être contraint d'avoir affaire à une femme; réclamer la ségrégation sexuelle dans certains lieux publics, voilà un petit échantillon de ce que les fondamentalismes religieux ultra-conservateurs nous obligent à remettre en question et même à combattre.
Sans compter, à inclure dans le choc actuel des valeurs, des pratiques qui n'ont rien à voir avec la religion, mais avec la morale, une morale passéiste, valable, peut-être, il y a 1000 ans - et encore... -, mais plus aujourd'hui. On ne peut plus accepter des châtiments barbares comme la lapidation ou les mutilations physiques (par exemple, couper la main d'un voleur); on ne peut plus accepter des pratiques comme l'excision et l'infibulation, ou la défiguration, par l'acide, de femmes qui refusent de porter le voile; on ne peut plus accepter la ségrégation sexuelle (non-mixité de certains lieux publics), pas plus qu'on accepterait la ségrégation raciale; on ne peut plus accepter le pouvoir du mari sur l'épouse, allant jusqu'à autoriser la violence pour l'exercer; on ne peut plus accepter le pouvoir des hommes, pères, frères, oncles et maris sur les femmes; on ne peut plus accepter la polygamie - bref, on ne peut plus accepter quoi que ce soit qui va à sens contraire de la laïcité, de l’égalité entre les hommes et les femmes et de le la mixité dans l’espace public, ou qui va à l'encontre de nos valeurs, voire même de notre mode de vie, dans la mesure où ce dernier est le reflet concret de nos valeurs et de nos principes.
Par contre, nous acceptons volontiers, et à bras ouverts, tout ce qui vient enrichir notre culture et ses manques. La bouffe et la musique en sont peut-être les éléments les plus connus et visibles, mais n'oublions pas, aussi, la littérature étrangère, la spiritualité et tous ces comportements beaucoup plus respectueux de la nature que le destructeur comportement occidental.
Cela étant dit et "le diable se trouvant dans les détails", comme on entend souvent cette expression ces temps-ci, les principes et valeurs étant établis, il reste à se prononcer clairement sur la nature réelle des libertés proclamées dans nos chartes. Nulle liberté n'est absolue, pas même la liberté de religion, et il va falloir s'atteler à la tâche de définir, pour certaines de ces libertés, ce qu'elles incluent et ce qu'elles excluent et ce, à la seule lumière des principes fondamentaux à la base de notre société démocratique moderne. Par exemple: "le droit de ne pas montrer son visage" est-il un droit, dans nos sociétés démocratiques modernes??
PS: Comme l'écrivait Kristian Bolduc il y a quelques mois (Hérouxville et les limites du multiculturalisme, Cent papiers, 31 janv. 07): "Que personne ne s’offusque lorsque des parents juifs orthodoxes empêchent leurs enfants, pour des questions religieuses, de jouer avec des jeunes québécois (expérience vécue à répétition durant ma jeunesse), que des responsables d’institutions publiques ou communautaires permettent de transgresser notre vouloir vivre ensemble laïc en multipliant les agressions contre ces principes de mixité sociale, que personne ne réagisse contre la pratique odieuse du voilage des femmes semblent être très dangereux pour le tissu social québécois. Et d’une lâcheté condamnable. /.../ Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, et pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance."
CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS (9)
Vous avez dit... "choc des valeurs" ?
Oui, il existe, ce choc des valeurs, et il n'est pas propre au Québec, il est mondial.
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
30 novembre 2007Gros titre sur cyberpresse:
LES ANGLOPHONES APPELLENT À LA TOLÉRANCE.
Ben oui, les anglos, si on les a écoutés (pas sur CNN), appellent LES AUTRES (francos des régions) à la tolérance.
En lisant le nouveau guide de Me Guy Bertrand, on se convainc qu'ils seront majoritaires à Montréal avant 10 ans. Pas surprenant de les voir se comporter ainsi.
Et le mouton se laisse encore tondre, pour la paix linguistique...
Archives de Vigile Répondre
30 novembre 2007Pourquoi est-ce que nos musulmans ne dénoncent pas, ce que l'interprétation de la charia où elle es appliquée, résulte en des condamnation de femmes pour une histoire de nounours et une autre pour s'être fait violer par 7 hommes en ligne en plus des lapidations, des coupages de membres et autres formes de barbaries. Si j'était musulman, ça me ferait honte d'appartenir à une religion qui préconise cette charia là.
Les musulmans ont déjà tenté d'introduire la charia a Toronto. Ils ont presque réussit la chose. Faudrait qu'ils se modèrent sur ces folies là au Canada s'ils ne veulent pas reproduire ici ce qu'ils ont fuit. On a beau dire que ce ne sont que quelques extrémistes qui noircissent la chose mais, ça commence à en faire beaucoup.
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
30 novembre 2007J'appuie: "Imaginez, nos deux commissaires l’ont reconnu dans leur document de consultation (p. VI), mais ils n’y sont plus revenus, comme si c’était une affaire spécifiquement québécoise due au manque d’ouverture et à l’ignorance des Québécois d’origine canadienne française."
Les 2 larrons n'ont pas bronché hier au forum anglophone (que nous avons laissé se produire par accommodation) devant les accusations répétées de "bigotry" et "stupidities" que ces "Montrealers" unilingues ont "entendues" (sur CNN) avant qu'arrive enfin leur tour de révéler les déclarations intelligentes pour balancer l'opinion du "Quebec, my place".
Heureusement que des représentants de Montréal français se sont levés pour proclamer qu'au Québec, le français est une valeur incontournable. Il y a quand même un anglo (probablement bilingue) qui a osé une sortie non équivoque pour rappeler à cette belle assemblée de pharisiens que la moindre marque d'intégration serait de communiquer avec la majorité dans sa langue. Il devait pointer au-moins cette participante, prof d'Anglais, qui dit parler très bien français mais par discrimination, s'est fait recaler 3 fois au test de français...
Pourquoi n'est-elle pas allée présenter sa plainte dans un forum en français?
Archives de Vigile Répondre
30 novembre 2007Bonjour Madame Saulnier.
Comme j'aimerais avoir votre talent d'écriture et votre culture.
Vos textes sont toujours intéressant, percutant et criant de vérité.
Je partage à cent pour cent vos opinions.
Merci!