Veillée d'armes sur l'Arctique

La stratégie canadienne doit-elle privilégier le recours aux forces armées ou aux organisations civiles, comme la Garde côtière ou la Gendarmerie royale du Canada?

Souveraineté dans l'Arctique



Mario Roy a probablement raison d'intituler son éditorial du 10 août ["La bataille de l'Arctique"->8121]. De nombreux éléments semblent contribuer à nourrir une logique de conflit entre les principaux gouvernements de la région (le Canada, les États-Unis, le Danemark, la Russie et l'Union européenne), sans parler de ceux qui, comme le Japon ou la Chine, ne cachent pas leur intérêt. L'incertitude quant aux tracés et au statut des frontières, l'espoir de mettre la main sur un vaste bassin de ressources naturelles, ou encore la crainte de voir cette région devenir le foyer d'activités criminelles ou dangereuses pour l'environnement, sont autant de facteurs qui alimentent cette logique.
Mais la bataille ne s'engage pas seulement sur la banquise (ou ce qu'il en reste). En fait, là-haut, il s'agit encore d'une veillée d'armes. Pour l'heure, l'exploitation des ressources de l'Arctique, de même que l'émergence de nouvelles menaces demeurent encore plus théoriques que réelles.
Si le gouvernement Harper multiplie les gestes témoignant de sa volonté de s'engager à fond dans cette bataille, il n'en demeure pas moins que sa stratégie (ainsi que les choix et les calculs qu'elle sous-tend) demeure à clarifier et à débattre. Dans ce contexte, il convient de rappeler en quoi le conflit qui s'amorce diffère de bien d'autres batailles qu'Ottawa a mené sur la scène internationale.
En premier lieu, la configuration des alignements et clivages permettant de distinguer les amis des rivaux est bien différente de ce à quoi sont habitués les Canadiens. Ainsi, dans bon nombre de dossiers touchant à l'Arctique, c'est à l'intérieur du camp occidental, sur qui s'est historiquement aligné Ottawa, que se trouvent les principaux rivaux du Canada, comme les États-Unis, le Danemark et l'Union européenne. Plus encore, dans le cas de la querelle sur le passage du Nord-Ouest, Ottawa est, pour l'instant du moins, fin seul!
Ceci ne signifie pas que le multilatéralisme, qui constitue l'option généralement privilégiée par le Canada, soit exclue; le Conseil de l'Arctique, par exemple, constitue toujours un forum de discussion fort utile. Mais il n'en demeure pas moins que, dans le Grand Nord, les jeux d'alliance et de négociation pourraient se révéler bien plus fluides de ceux que les Canadiens ont connu jusqu'ici.
Le second facteur de nouveauté est lié au précédent; s'ils ne peuvent compter sur un jeu d'alliance, les Canadiens devront en grande partie s'en remettre, plus qu'à l'accoutumée, à une stratégie nationale fondée sur leurs propres ressources. La cascade d'annonces faite par le gouvernement Harper semble s'inscrire dans cette voie. Mais cette stratégie soulève un certain nombre de questions à laquelle non seulement la classe politique devra répondre, mais aussi la population canadienne, car ces réponses constituent des choix de société.
D'une part, cette stratégie nationale doit-elle privilégier le recours aux forces armées (donc entrer dans une approche de militarisation de l'Arctique) ou aux organisations civiles, comme la Garde cotière ou la Gendarmerie royale du Canada? Sur le terrain, bien entendu, la mise en oeuvre de toute stratégie d'occupation ou de présence effective passe par la combinaison de ressources militaires et civiles, mais il convient néanmoins de déterminer laquelle des deux approches dominera la réflexion et conditionnera les réactions. D'autre part, il convient de déterminer l'ampleur des ressources que les Canadiens sont prêts à consacrer à la protection de la souveraineté, à l'application des lois ou aux autres activités gouvernementales dans cette région. Cette volonté est évidemment difficile à mesurer, mais c'est sur ce plan que réside le troisième élément de nouveauté.
Une sensibilité différente
Bon nombre des croisades qu'à mené le gouvernement sur la scène internationale ont d'abord été pour défendre des principes, certainement chers aux yeux des Canadiens, mais parfois bien éloigné de leurs préoccupations de citoyens. La problématique de la souveraineté et de la sécurité dans l'Arctique touche à une sensibilité différente. Même si la très grande majorité des citoyens du Canada ne mettront jamais les pieds au nord du 60e parallèle, l'Arctique est pour ainsi dire unanimement considéré comme faisant partie du territoire et de l'identité nationale, et toute atteinte à son intégrité est perçue comme une agression directe contre le Canada. Voici donc l'un des rares combats que les Canadiens sont susceptibles de traiter comme une "affaire personnelle". En ce sens, le gouvernement peut compter sur une réaction à l'opposé des gifles qu'il reçoit sur la question de l'Afghanistan.
Le gouvernement Harper a trouvé le meilleur cheval de bataille disponible pour obtenir l'appui de la population à ses programmes de renforcement des Forces canadiennes. Mieux encore, les Conservateurs, que l'on a souvent dépeint comme trop proches de l'administration Bush, ont découvert un terrain sur lequel ils peuvent prétendre tenir tête aux Etats-Unis et s'ériger en gardien des intérêts du Canada face à Washington.
Si les Conservateurs espèrent tirer des gains électoraux de cette bataille de l'Arctique, ils devront aussi répondre aux questions sous-jacentes à leurs orientations stratégiques et justifier leurs choix face à la population, qu'elles aient trait à la qualité des relations qu'il entend conserver avec les autres États circumpolaires ou au rôle des Forces armées.
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Roussel, Stéphane; Arnold, Samantha
Professeurs de science politique respectivement à l'Université de Winnipeg et à l'Université du Québec à Montréal, les auteurs reviennent d'un voyage d'étude à Iqaluit où ils ont assisté à la préparation de l'exercice Nanook mené par les Forces canadiennes.


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