Pour ne pas perdre le Nord

Souveraineté dans l'Arctique

L'Arctique suscite de plus en plus d'intérêt sur la scène internationale. Depuis que les effets des changements climatiques ont transformé ce vaste territoire de glace, le toit du monde est devenu une source de revendications territoriales pour un nombre toujours grandissant de pays.


N'allez pas croire que les grands gouvernements de ce monde s'inquiètent soudainement du sort de l'Arctique devant la menace qui pèse sur cette contrée de glace en déclin. Par rectitude politique, les dirigeants politiques prononcent parfois des discours empreints d'inquiétude sur la problématique des changements climatiques qui affectent déjà l'Arctique, mais sans plus. L'argent et les ressources manquent toujours quand vient le temps d'investir dans la recherche scientifique pour essayer de comprendre les conséquences des changements en cours, pour préparer l'adaptation des peuples du Nord devant ce chambardement climatique qui affecte la vie.
Toutefois, le discours change radicalement quand on nous annonce que l'Arctique recèle de ressources naturelles abondantes. Selon le US Geological Survey, le sous-sol de l'Arctique pourrait dissimuler environ le quart des ressources énergétiques de la planète.
Le soi-disant débat sur la souveraineté de l'Arctique porte en fait sur plus de neuf milliards de tonnes de gaz naturel et de pétrole. Voilà ce qui intéresse les pays revendicateurs de l'Arctique. Le sort des Inuits ou les menaces pesant sur la biodiversité de ce territoire fragile ne pèsent pas lourd dans la balance. Encore une fois, quand il s'agit de choisir entre la vie, la nature ou l'économie, c'est le vert des billets qui l'emporte.
En déposant, par plus de 4000 mètres de fond, un pavillon russe enfermé dans une bouteille en titane, les Russes ont voulu clamer haut et fort leur ambition territoriale sur une région qui suscite toujours des discussions sur la scène internationale. Le Canada revendique une très grande partie de l'Arctique.
D'ailleurs, le premier ministre Harper s'est dit étonné que la Russie puisse réclamer une partie du Nord. «Tout le monde sait que l'Arctique est canadien», a-t-il dit en conférence de presse. Une déclaration étonnante. Savez-vous combien de pays reconnaissent le Canada comme État souverain sur les eaux arctiques? Un seul, et c'est le Canada. Et cela ne date pas d'hier. Les États-Unis, la Russie, le Danemark, le Japon, la Norvège et même l'Union européenne ont tous des revendications en regard du droit international.
Un des enjeux majeurs, c'est le fameux passage du Nord-Ouest, cette route maritime qui permet de relier l'océan Atlantique au Pacifique. La déclaration du Canada est claire: cette route nous appartient!
Or, rien n'est moins certain aux yeux des autres pays du monde qui considèrent cette voie maritime comme un détroit international, et donc libre de passage. Selon la loi internationale, pour être souverain, un pays doit être en mesure d'exercer légalement son pouvoir suprême sur son territoire. En d'autres mots, il doit pouvoir assurer la sécurité internationale de ce territoire. Or, de tous les pays qui revendiquent une certaine forme de propriété de l'Arctique, seul le Canada ne possède pas de brise-glace suffisamment puissant pour assurer une telle surveillance du territoire, 12 mois par année.
Solution militaire
Pour pallier le problème, le gouvernement Harper avait annoncé un investissement important dans la construction d'un puissant brise-glace canadien. Il s'est ravisé depuis, annonçant plutôt la construction de six à huit frégates militaires - au coût de 7,5 milliards - capables de briser une banquise d'une épaisseur inférieure à un mètre.
Au lieu de miser sur un navire qui aurait pu exercer un rôle d'importance pour nos scientifiques, qui ont besoin de fréquenter l'Arctique en toutes saisons, nous avons choisi d'investir dans le militaire, encore une fois. Or, avec de tels navires, le Canada n'aurait même pas pu accompagner le brise-glace soviétique à propulsion nucléaire, le Rossiva, lors de sa récente randonnée au pôle Nord pour aller déposer son pavillon soviétique dans les profondeurs de l'Arctique.
Avec le réchauffement climatique qui affecte l'Arctique, les spécialistes s'entendent pour dire que la banquise disparaîtra complètement en été vers les années 2040-2050. Le passage du Nord-Ouest risque de connaître une augmentation importante du trafic maritime. Les pays qui veulent utiliser la route du Nord pour réduire leurs coûts de transport devront bientôt s'entendre. Mais rien n'est encore gagné pour le Canada. Loin de là.
Surtout quand les enjeux réels sont le gaz, le pétrole, les minéraux et les ressources de la mer. Qui s'occupera de la pollution engendrée dans ce milieu d'une si grande fragilité? Et qui écoutera les peuples du Nord, les réels spécialistes de l'Arctique, qui occupent ces terres et mers gelées depuis toujours?
Il n'y a pas si longtemps, pour des raisons de revendications territoriales, nous avons transformé la vie des Inuits en leur imposant notre culture, notre façon de vivre, et en les forçant au sédentarisme. Ne refaisons pas les mêmes erreurs en les excluant du présent débat sur la souveraineté de l'Arctique.
Les ressources de l'Arctique devraient appartenir à ceux et celles qui, bien avant la découverte de ces nouvelles richesses, occupaient ces lieux et en prenaient grand soin. La solution canadienne ne devrait pas passer par une augmentation de nos ressources militaires inadéquates - que voulez-vous faire avec six frégates contre la force navale américaine? -, mais plutôt par une bataille diplomatique pour faire reconnaître le droit du seul peuple qui mérite le Nord: les Inuits.
***
Jean Lemire
L'auteur est biologiste, photographe et cinéaste. Il a été chef de trois missions à bord du voilier Sedna IV

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