Urgence aux urgences

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Le marché de dupes





Ce matin, la chronique de ma collègue Lise Ravary est vraiment venue me chercher, comme on dit familièrement.


Elle y fait le récit de l’impossibilité pour son mari de se faire traiter adéquatement – et sûrement aussi quelque part avant la fin du siècle (!) -, dans une urgence au Québec. Par contre, il a réussi à se faire traiter rapidement et adéquatement dans une urgence... ontarienne.


Nul besoin d’en ajouter sur l’attente démesurée au Québec aux urgences de nos hôpitaux, même de nos méga hôpitaux payés à coups de milliards de dollars en fonds publics.


Nous avons tous notre propre ou nos propres récits sur le sujet. Un des miens parmi d'autres au cours des dernières années : se retrouver à Montréal en fin de soirée dans une «nouvelle» urgence toute neuve avec un membre de ma famille dont les douleurs étaient fortes pour y attendre 30 heures – je répète, 30 heures – avant qu’on ne lui diagnostique une infection et lui donne une prescription. Laquelle, il s’avéra en plus, pour le mauvais médicament. Obligation, donc, d’y retourner pour une deuxième ronde d’attente...


Comme chroniqueure politique, je ne me souviens d’ailleurs pas d’une campagne électorale au Québec où les deux principaux partis ne s’accusaient pas mutuellement d’être responsables pour ces temps inhumains d’attente qui ne se résorbent jamais, ou trop peu.


Il n’y a pourtant rien de normal ni de moralement acceptable à ce que les Québécois paient leurs impôts pour se retrouver obligés de poiroter des dizaines heures à l’urgence parce qu’ils n’ont pas d’autres possibilités à une heure tardive. Ou parce qu’ils n’ont pas de médecins de famille. Ou parce que la clinique «sans rendez-vous» du coin ne prend plus de rendez-vous... Etc.


Et ce, lorsqu’on y poirote, pour même parfois se faire recevoir, comme le souligne ma collègue, sans courtoisie même la plus élémentaire.


Il n'y a pourtant rien de normal ni de moralement acceptable à ce que la peur nous prenne aux os à la seule pensée d'être obligé d'aller à l'urgence au Québec. D'autant plus dans les grands centres urbains, à quelques exceptions près.


Et l’Ontario? Eh oui, l’Ontario.


Les Québécois sont aussi de plus en plus nombreux à «traverser la frontière»  pour aller s’y faire soigner. Et tout particulièrement ceux qui habitent la grande région de l’Outaouais, réputée malheureusement pour des soins de santé chaotiques.


Des amis de Toronto, par exemple, me racontent leur frousse profonde de se retrouver un jour en visite à Montréal et obligés de se retrouver à une urgence. Une amie ex-montréalaise qui réside en Ontario depuis plusieurs anneés m'a même confié qu'elle aimerait bien revenir vivre ici, mais que l'état déglingué du système de santé et de services sociaux l'empêche de le faire. Bref, trop risqué côté santé de revenir au Québec.


Ce qui se comprend. Chez eux, non seulement les urgences sont en général plus fonctionnelles qu’ici, les Ontariens ont aussi accès à des cliniques médicales où tout s’y trouve : médecins, spécialistes, radiologie, prélèvements, pharmacie, etc. Tout pour se faire diagnostiquer rapidement et se faire soigner sur place sans avoir à mettre l'orteil à l'hôpital. Et ce, sans «frais accessoires» et couvert par l’assurance-maladie ontarienne. Riche ou pauvre, pas de différence. Le système public de santé est là pour vous soigner.


Et ce, sans non plus qu’on se fasse répondre comme ici : désolé, on ne fait pas de radiologie ici et pour les prélèvements,  soit que vous avez une assurance privée et on voit envoie à un labo privé; soit que vous payez entre 700 et 1200$ de votre poche pour le même labo privé; soit vous quittez et attendez à l’hôpital pour le faire faire; soit....Bref, c’est la maison qui rend fou d’Astérix... et qui vous vide les poches si vous ne faites pas attention.


Alors, bonjour l’attente et la chasse aux tests...


Y aurait-il donc quelque chose de magique en Ontario? Eh non. Il y a un système public de santé imparfait, certes, mais qui semble fonctionner mieux que le nôtre.


Or, au Québec, les patients sont en effet d’une patience d’ange. Trop patients. On écope sans rien dire. Ou on risque d'endurer notre mal par crainte de passer deux jours à l'urgence. Ou on traverse la frontière en désespoir de cause.


Il y a quelque chose de pourri dans le royaume non pas du système de santé public comme principe, mais dans la manière dont il est géré au Québec. Et ce, depuis les premières coupes aveugles opérées dans les années 90 par Lucien Bouchard au nom du sacro-saint déficit-zéro.


Et ce, avec une rémunération des médecins qui, de 2002 à 2013, a grimpé de 52% pour les omnipraticiens et de 71% pour les spécialistes.


Sur la question des soins à domicile qui manquent tout aussi cruellement au Québec – un autre handicap inacceptable du système tel qu’il est géré ici -, elle opère elle aussi un retour en force dans l’actualité.


J’en écrivais ceci vendredi dernier.


La CAQ propose quant à elle un troc. Soit d’investir (enfin) dans les soins à domicile en mettant fin à l’incorporation coûteuse des médecins – ce qui leur fait économiser en plus des sommes importantes en impôts.


Cette possibilité de s’incorporer pour sauver de l’impôt, rappelons qu’elle fait surtout partie d’un phénomène de plus en plus inquiétant au Québec. Soit ce que j'appelle la «culture entrepreneuriale» en voie de supplanter ici une culture plus strictement médicale.


Mais vous me direz : les urgences, là-dedans, elles sont rendues où dans votre raisonnement?


C’est que le problème qui perdure dans les urgences n’est pas une maladie en soi, mais un symptôme parmi d’autres d’une gestion déficiente du système de santé (et de services sociaux) au Québec. Chaque élément dysfonctionnel nourrit la dysfonction d’un autre élément.


Des médecins maintenant trop payés en échange d’une productivité globale insuffisante pour les montants astronomiques qu’on y met – 7 milliards de dollars en fonds publics par année. Un accès aux soins qui, par conséquent, est encore parcellaire.


La privatisation croissante des soins de santé qui en résulte. (Ceux et celles qui en ont les moyens vont au privé-privé.) Ce qui, de toute évidence, ne désengorge en rien le public-public ou semi-privé.


Un investissement démesuré dans la construction de méga hôpitaux sans que les soins n’en soient plus accessibles.


Des cliniques sans rendez-vous où obtenir un rendez-vous tient de l’exploit.


La multiplication des laboratoires privés de prélèvements dans des cliniques médicales où les médecins sont pourtant rémunérés par la RAMQ.


La légalisation des frais accessoires. Etc...


Et après, on se demandera pourquoi des Québécois rêvent de se faire soigner en Ontario.


Le marché de dupes n’a-t-il pas assez duré?


 


 


 




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