Andrew Scheer a beau répéter qu’Yves-François Blanchet tournera le dos à François Legault et reprendra la lutte pour l’indépendance dès le 22 octobre, il n’arrivera pas à convaincre que l’élection de lundi prochain a un quelconque caractère référendaire, même si la grande majorité des souverainistes vont en effet voter pour le Bloc québécois.
On peut très bien comprendre que le chef conservateur soit frustré de voir le Bloc lui subtiliser le vote caquiste sur lequel il croyait pouvoir compter, mais la question nationale a été complètement absente de la campagne qui s’achève, comme elle avait été évacuée de l’élection québécoise du 1er octobre 2018.
Les derniers événements survenus en Catalogne ont cependant donné à M. Blanchet une occasion inattendue de réintroduire dans le débat la question du droit des peuples de disposer librement de leur avenir, en sommant les chefs des autres partis, en commençant par le premier ministre Justin Trudeau, de dénoncer les lourdes peines d’emprisonnement que le Tribunal suprême espagnol a imposées aux dirigeants indépendantistes catalans qui ont organisé le référendum du 1er octobre 2017.
M. Trudeau s’y est refusé, faisant valoir qu’il s’agissait d’une affaire interne espagnole. La réaction de M. Blanchet n’a pas tardé. « Le premier ministre du Canada, grand champion des valeurs humaines, des droits humains, de la démocratie, va se ratatiner dans le coin plutôt que de dénoncer l’État espagnol. C’est pas grand-chose d’autre que honteux. » Encore un masque qui tombe, dirait M. Scheer.
M. Trudeau s’était réfugié dans la même neutralité en 2017, quand les policiers espagnols avaient matraqué des électeurs qui voulaient exercer leur droit de vote. Cette fois-là, c’est Jean-François Lisée qui avait exprimé la gêne que causait cette dérobade. « Quelle crédibilité aura demain Justin Trudeau pour reprocher à la Chine ou à la Russie d’emprisonner des dissidents ou de rester muettes devant l’assassinat de journalistes si nous n’avons pas le cran de dire à un pays démocratique qu’il ne devrait pas user de brutalité contre ses citoyens ? » avait demandé le chef du PQ.
Élu deux semaines plus tôt, le nouveau chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, avait également condamné la dérobade de M. Trudeau. « On doit parler des droits de la personne, on doit être un leader à travers le monde », avait-il déclaré, ajoutant que le droit à l’autodétermination était l’un des droits les plus importants.
Le gouvernement canadien est loin d’avoir été exemplaire lors du référendum de 1995, et les moyens qu’Ottawa a pris pour faire la promotion du fédéralisme dans les années qui ont suivi s’apparentaient au banditisme, comme en témoignent les condamnations imposées à plusieurs protagonistes du scandale des commandites.
Que ce soit en 1980 ou en 1995, personne n’a cependant envisagé d’empêcher la tenue d’un référendum ni de décourager les électeurs de se rendre aux urnes par la violence. On ne peut cependant s’empêcher de penser que le refus obstiné de condamner les dérives antidémocratiques de l’État espagnol traduit au moins autant la crainte que l’exemple catalan devienne contagieux que le souci de ne pas s’ingérer dans les affaires internes d’un pays allié.
Même si cette affaire n’aura aucune influence sur les résultats de l’élection fédérale, on ne peut que noter encore une fois la coïncidence entre la sortie d’Yves-François Blanchet et la réaction de François Legault, qui s’est empressé lui aussi de condamner l’extrême sévérité de la justice espagnole.
La réaction des partis représentés à l’Assemblée nationale atteste également que la recomposition du paysage politique québécois consécutif à l’élection de l’an dernier n’a pas altéré les vieux réflexes. À son habitude, le PQ a senti le besoin de renchérir sur la CAQ en évoquant la triste époque de Franco, tandis que le PLQ a aussitôt vu dans les propos de M. Legault une réminiscence de son passé souverainiste.
Il est vrai que la porte-parole libérale en matière de relations internationales, Paule Robitaille, n’est pas la plus nationaliste du caucus et que les libéraux ont toujours donné l’impression de défendre du bout des lèvres le droit à l’autodétermination. En 2017, Philippe Couillard avait déjà refusé de blâmer l’État espagnol, mais il était tout aussi gênant d’entendre Mme Robitaille justifier la non-ingérence en disant que l’Espagne est un pays souverain, un État démocratique et un État de droit. Les États-Unis correspondent aussi à cette définition, mais ce n’est pas une raison pour assister sans mot dire aux méfaits de Donald Trump.
Que ce soit en 1980 ou en 1995, personne n’a envisagé d’empêcher la tenue d’un référendum ni de décourager les électeurs de se rendre aux urnes par la violence. On ne peut cependant s’empêcher de penser que le refus obstiné de condamner les dérives antidémocratiques de l’État espagnol traduit au moins autant la crainte que l’exemple catalan devienne contagieux que le souci de ne pas s’ingérer dans les affaires internes d’un pays allié.