Lors d'une discussion sur le déroulement de la campagne électorale, une de mes soeurs, une désabusée du Parti québécois, me lance à brûle-pourpoint: «On dirait qu'il n'y a plus de parti; elle est où, Louise Harel? On ne l'a pas vue une seule fois.» Effectivement, on ne l'a ni vue ni entendue. J'aurais pu lui répondre qu'on n'avait pas vu beaucoup François Legault ou Diane Lemieux, pas plus qu'on a beaucoup entendu Raymond Bachand, un poids lourd du PLQ, ou Gilles Taillon, un des rares candidats «ministrables» de Mario Dumont. Car depuis un mois, on ne voit et on ne lit que les chefs, un peu comme si les communicateurs des trois principaux partis avaient choisi de faire une campagne américaine, une campagne présidentielle.
Chez nos voisins du Sud, après les luttes internes pour le leadership et les brassages d'idées des congrès, les partis et les programmes s'effacent derrière les chefs. Les communicateurs et les sondeurs déterminent quelques messages forts qui remplaceront le programme, ils concoctent une image rassembleuse destinée à attirer le centre flottant de l'électorat et ils rédigent deux ou trois discours qui seront martelés sans cesse durant toute la campagne électorale. Puis le chef prend le relais; de sa performance, de l'image qu'il projette, de la sympathie qu'ils suscite dépend entièrement l'issue finale. Cela se comprend dans un régime présidentiel, un peu moins dans un régime parlementaire comme le nôtre.
Les publicités télévisées du PQ et du PLQ illustrent bien ce choix des professionnels de la communication. C'est le chef qui prend toute la place, comme la star d'une troupe de figurants satisfaits se contentant de poser derrière ou aux côtés de leur tout-puissant patron.
Le Parti libéral traînait un lourd boulet: un haut taux d'insatisfaction à l'égard du bilan du gouvernement, mais, en même temps, le premier ministre Charest était vu par la population comme le meilleur chef, celui qui incarnait le mieux ce qu'on attend d'un premier ministre. Seule la personnalité de Jean Charest, ses qualités perçues de chef de gouvernement pouvaient faire oublier l'insatisfaction, d'autant plus que, dans ce domaine, les deux autres chefs traînaient la patte. Si on doit se fier aux derniers sondages, le leadership de M. Charest n'a pas réussi à neutraliser la profonde désaffection à l'égard de son gouvernement. Même dans le comté de Sherbrooke, le comté du premier ministre, le pourcentage de mécontents est de 57 %, selon le sondage publié hier dans La Presse.
Le pari des péquistes de jouer leur va-tout sur André Boisclair était plus risqué. Ils savaient fort bien que, dans plusieurs couches de la population, ses erreurs de jugement et son orientation sexuelle seraient des facteurs négatifs. Ils étaient prêts à parier cependant que sa jeunesse, son message de modernisation du PQ, l'attrait qu'il paraissait susciter chez les jeunes électeurs l'emporteraient sur son image un peu étriquée, son discours souvent biscornu et la froideur de sa personnalité. Jusqu'au débat, les résultats de cette stratégie furent désastreux. Non seulement la campagne de M. Boisclair ne levait pas mais, pis, même une partie de l'électorat traditionnel du PQ semblait l'abandonner et reluquer du côté de l'ADQ. Depuis le débat, l'hémorragie a été jugulée et le chef du PQ projette une image plus chaleureuse, tient un discours plus simple. Les communicateurs sont passés par là. Cette légère remontée ne doit pas cependant faire illusion. Dans les intentions de vote déjà exprimées, le PQ réussit à faire le plein de ses troupes fidèles, il a rallié les purs et durs et, avec un peu plus de 30 % des intentions de vote, il revient presque à son score de 1973. Pis, le PQ ne semble plus être une solution de rechange et un canal de protestation contre un gouvernement mal-aimé. Les mécontents, les désillusionnés, les amateurs de changement quittent le Parti libéral pour aller à l'ADQ. Et si jamais le PQ forme un gouvernement minoritaire, ce qui semble maintenant possible, André Boisclair devra en remercier Mario Dumont.
Les stratèges de l'ADQ, eux, n'avaient pas le choix. Ils ne possédaient que deux outils: le mécontentement à l'égard du Parti libéral et Mario Dumont. Pas de parti, car ce parti n'a probablement pas plus de vrais membres que Québec solidaire, pas de programme, car l'ADQ en rédige un chaque année au gré des évolutions du chef, et pas d'équipe capable de former un gouvernement. L'ADQ, comme ses adversaires le lui reprochent, est véritablement une «coquille vide». Pourtant, cette coquille vide et ce chef qui change de cap au gré du vent deviennent peu à peu pour des centaines de milliers d'électeurs mécontents une option crédible. C'est dire la faiblesse d'attraction du Parti québécois incarné par André Boisclair.
Je ne me prive pas quand il s'agit de critiquer la pratique journalistique, mais à tout seigneur tout honneur. La majeure partie des grands médias québécois n'a pas attendu que le gouvernement modifie le mode de scrutin pour donner une juste place dans le paysage politique à l'ensemble des partis politiques. Québec solidaire et le Parti vert représentent des courants de pensée, peut-être minoritaires mais souhaitables et légitimes. En leur accordant une place raisonnable dans leurs pages ou leurs émissions, les médias ont fait preuve d'un souci démocratique qu'il faut souligner.
Collaborateur du Devoir
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