On ne pourra jamais reprocher aux médias de ne pas avoir fait leur travail pendant cette campagne électorale. L'électeur assidu et consciencieux croule sous le poids des informations écrites et télévisuelles. Jamais une campagne électorale n'a fait l'objet d'une telle attention, du moins en quantité de lignes imprimées et de minutes de diffusion.
Paradoxalement, je ne me souviens pas depuis 1960 d'avoir assisté à une campagne aussi monotone, aussi dépourvue de passion et d'enjeux fondamentaux. On dirait une querelle de comptables ou de vendeurs d'autos qui proposeraient en gros le même véhicule et qui tenteraient de nous attirer avec la gamme des options qu'ils offrent.
Les trois grands partis ont choisi le même style de campagne et de message: la capacité de gouverner sans heurts et sans excès, sans bouleversements et sans changements substantiels, comme si le Québec ne souffrait d'aucun problème structurel, comme si la pauvreté n'existait plus, comme si les régions n'étouffaient pas, comme si la nature ne nous menaçait pas d'une terrible vengeance.
Ce qu'on nous dit alors que nous savons fort bien que c'est faux, c'est que tout est gérable sans modifier nos comportements et l'organisation de la société.
Le «débat» sur le développement régional est exemplaire. On a amplement évoqué ce problème, mais personne n'en a vraiment parlé. Le développement régional au Québec s'est toujours fait au coup par coup, au fil des crises et des aléas de l'économie. Une année, ce sont les pêches, une autre, les forêts, une autre, l'éolien. Les gouvernements successifs ont distribué les sparadraps et les potions ponctuelles en espérant cicatriser la blessure ou faire baisser la fièvre. Cette approche morcelée a produit des réussites comme l'aluminerie de Sept-Îles et des faillites retentissantes et coûteuses comme celle de la Gaspesia. Ce qu'on constate à long terme, c'est que les problèmes structurels des régions demeurent: exode des jeunes, précarité des emplois soumis aux fluctuations économiques, appauvrissement collectif, faiblesse des transports, etc. Que répondent les trois grands partis à ces questions de fond? Ils proposent de repeindre la façade de la maison et de remettre à plus tard la réfection de la structure, menacée d'écroulement. Une Romaine ici, un fonds dédié là et une étude de faisabilité ailleurs. On est chez le quincaillier alors qu'on a besoin d'un constructeur. Quand on aborde le sujet du développement des Premières Nations, on n'hésite pas à évoquer la responsabilisation des communautés, les pouvoirs nécessaires à cette prise en main ainsi que la participation à la richesse collective et le degré de contrôle du territoire. C'est de ce type d'approche globale et organique que les régions ont un urgent besoin, mais de cela, les trois partis ne parlent pas.
Pendant cette campagne, tout le monde s'est mis au vert et tout le monde s'y est mis de la même manière, c'est-à-dire sans poser la question cruciale: peut-on conserver les mêmes comportements collectifs et individuels et éviter la catastrophe écologique qui point à l'horizon? Peut-on multiplier les autoroutes tout en maintenant les systèmes de transport collectif dans leur état de précarité croissante? La réponse, bien sûr, est non. Mais aucun grand parti n'a dit à la population que nous faisons face à des échéanciers pressants et à des choix difficiles. Chacun y va de sa petite liste d'épicerie verte, de son étude de faisabilité ou de sa mesure incitative.
Quand on a le choix entre trois supermarchés pour faire ses courses, on n'a pas l'impression de prendre une décision cruciale en entrant chez IGA plutôt que chez Métro. Si le solde de printemps de Rona semble plus alléchant que celui de Canadian Tire, on va chez Rona sans états d'âme. C'est avec cette légèreté d'âme qu'une bonne partie de l'électorat envisage aujourd'hui le choix du 26 mars. Personne ne pense que sa vie est en jeu. Puisque les chefs paraissent interchangeables, pourquoi ne pas choisir celui qu'on n'a jamais essayé et qui ne semble pas plus méchant que les autres? Cela explique en bonne partie la percée de Mario Dumont, qui constitue à lui seul l'ensemble de l'ADQ, un parti qui n'existe pas et qui change de programme comme on change de chemise. C'est le prix qu'on doit payer quand les chefs deviennent le seul enjeu, comme c'est le cas cette année. Christian Rioux parlait hier de troisième voie; je le corrigerais légèrement en parlant de troisième bannière.
Deux autres facteurs qu'on mentionne rarement expliquent aussi la percée adéquiste. Le premier, c'est la montée et la consolidation du conservatisme social en région. Cette nouvelle angoisse identitaire chez beaucoup de francophones n'est pas un épiphénomène, et Dumont, comme tout populiste qui aime souffler sur les braises, l'a bien compris.
Le sondage publié hier nous fournit une deuxième clé pour expliquer la popularité de l'ADQ: c'est maintenant ce parti qui est le plus populaire chez les francophones. Voilà un bouleversement significatif dans le paysage politique québécois.
On s'était bien moqué de Mario Dumont lorsqu'il avait proposé la troisième voie de l'autonomie. On avait tort. Il semble de plus en plus évident qu'une bonne proportion de francophones est fatiguée d'avoir à choisir depuis 37 ans entre l'indépendance et le fédéralisme peureux. En effet, au-delà des programmes ponctuels, c'est la question nationale qui, depuis 1970, oriente et conditionne le vote de la majorité des Québécois. On le croyait bien enterré, le parti de Maurice Duplessis; eh bien non, il ressuscite. Le triste bilan de Jean Charest et le flou monotone d'André Boisclair ont permis la renaissance de l'Union nationale.
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