Un sacré panier de crabes

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La censure de Nadia el-Mabrouk est dénoncée par l'ensemble des chroniqueurs



En retirant à la professeure Nadia El-Mabrouk son invitation à son prochain colloque, l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal s’est déshonorée. Avec raison, elle s’en est trouvée condamnée sur toutes les tribunes. Refusant de cautionner une telle censure, la journaliste Pascale Navarro a eu la droiture d’annuler sa présence au même panel.




Pour l’Alliance, le « péché » de Mme El-Mabrouk­­­­­­ est de s’opposer au port de signes religieux chez les enseignants. Pour tout dire, ce triste épisode n’est que le énième symptôme d’un débat fort mal engagé depuis la pseudo-crise des accommodements raisonnables en 2007.




En entrevue à Qub Radio, Mme El-Mabrouk disait souhaiter un « débat serein ». De toute évidence, la chose est peu probable. La raison ? La question des signes religieux porte en elle un très gros malaise. Ce qui dérange n’est pas tant la kippa, le turban ou la petite croix. Ce qui fait « débat » est le hijab porté par une minorité de femmes musulmanes.




Confusion




Les uns le voient comme un symbole d’inégalité des femmes. Les autres, comme l’expression d’un choix. Il en résulte une immense confusion entre la question nettement plus large de la « laïcité » et celle, fort distincte, de l’égalité hommes-femmes.




À mon avis, c’est cette confusion qui a pour effet de rendre le débat insoluble.




Elle explique aussi pourquoi le sujet divise les partis politiques jusque dans leurs propres instances. C’est un sacré panier de crabes.




Le compromis Bouchard-Taylor limitant l’interdiction des signes religieux aux agents de l’État en position de coercition, dont les juges et les policiers, aurait évité cet écueil. Avec un appui certain dans la population, le premier ministre François Legault s’est toutefois engagé à l’étendre aux employés qu’il juge en position d’autorité, soit les enseignants­­­.




Brouillard




Autre problème : pendant qu’il planche sur son projet de loi sur la laïcité, le gouvernement multiplie les messages équivoques. Y aura-t-il une clause « grand-père » limitant l’inter­diction aux nouveaux employés ? Ira-t-il jusqu’à muter les enseignants récalcitrants ?




Pourquoi cherche-t-il à savoir des commissions scolaires et de la Sûreté du Québec combien d’employés portent un signe religieux ? Bref, le brouillard s’épaissit. Sans compter les accusations d’islamophobie qui, c’est écrit dans le ciel, reprendront du service.




Or, Le Devoir rapporte qu’une étude sérieuse publiée il y a peu dans le Canadian Journal of Political Science avance tout le contraire. Selon les chercheurs, si l’appui à une interdiction ciblée des signes religieux est plus élevé au Québec qu’au Canada anglais, ce n’est pas par « xénophobie » ou « insécurité culturelle ».




C’est plutôt « qu’être socialement libéral au Québec et dans le reste du Canada a des effets opposés ». Au Canada anglais, le libéralisme est surtout multiculturaliste, tandis qu’au Québec, un « libéralisme des lumières, inspiré par le modèle français, a gagné en influence ». D’où, j’oserais ajouter, la confusion persistante au Québec entre laïcité et égalité hommes-femmes.




Comme pavé dans la mare d’un débat mal foutu depuis plus d’une décennie, avouons que cette étude remet tout au moins quelques pendules à l’heure.