L’auteur est député du Bloc Québécois
Au cours des années 1990, Ottawa a choisi de sabrer les transferts aux provinces pour assainir ses finances. Aux dirigeants du G7 qui se plaignaient des manifestations contre l’austérité devant leur parlement, Jean Chrétien leur a répliqué qu’il n’avait pas ce problème. Il avait coupé les fonds aux provinces, qui avaient à leur tour coupé leurs services, et les manifestations se tenaient devant les parlements provinciaux !
La situation n’a jamais été corrigée. Aux coupes de Chrétien, se sont ajoutées celles de Harper, suivies par celles de Trudeau. Par exemple, Ottawa assumera prochainement à peine 18 % des dépenses en santé, alors qu’il s’était engagé, à l’origine, à financer la moitié du montant !
Le Directeur parlementaire du budget confirme cette iniquité entre les niveaux d’administration. En examinant les revenus et dépenses, il rappelle que la marge de manœuvre dans les finances publiques se trouve à Ottawa. Le fédéral a les moyens de rembourser sa dette à brève échéance mais, au rythme où vont les choses, l’endettement des provinces va exploser. La situation est actuellement nettement moins pire pour le Québec, parce que les gouvernements successifs ont choisi d’augmenter les taxes, les impôts et les tarifs, tout en pratiquant sous les libéraux une politique d’austérité.
Au cours des dernières décennies, le Québec s’est distingué des autres provinces, malgré les compressions budgétaires d’Ottawa. Pendant que celles-ci sabraient dans les services sociaux et démultipliaient les droits de scolarité, le Québec a choisi de mettre en place de nouveaux programmes sociaux, qui ont permis de réduire la pauvreté et les inégalités.
C’est ce que montrent Axel van den Berg, Charles Plante, Christine Proulx, Samuel Faustmann, Hicham Raïq dans leur livre Combating Poverty – Quebec’s Pursuit of a Distinctive Welfare State (2017). Les auteurs parlent d’un virage néolibéral pour Ottawa et les autres provinces, qui rapprochent ces dernières de la situation qui prévaut aux États-Unis, en termes d’inégalité et de pauvreté. Au contraire, la situation au Québec est plutôt comparable à celle des pays scandinaves, premiers de classe selon ces critères. Le Québec se démarque particulièrement en ce qui concerne la situation des familles et, de façon spectaculaire, des familles monoparentales. Sa politique familiale – congé parental, CPE, etc. – fait une sérieuse différence.
Nos politiques sociales ont aussi été encensées par l’économiste Joseph Stiglitz. Invité par l’Observatoire québécois des inégalités, le 29 avril dernier, Stiglitz a rappelé le rôle essentiel des politiques publiques pour lutter contre la pauvreté et a, à cet égard, louangé le modèle québécois.
Cette situation illustre pleinement notre capacité à devenir un pays indépendant. Dans un contexte d’austérité imposé par Ottawa, sans marge de manœuvre et comptant sur lui seul, le Québec a réussi à développer des mesures sociales qui lui sont propres et, bien qu’imparfaites et inachevées, lui ont permis de nettement se démarquer. Cet exemple laisse entrevoir tout ce que nous pourrions réaliser avec un véritable État, un véritable budget et les coudées franches pour nos politiques. Ce virage social a été un succès justement parce que le Québec n’avait pas à attendre l’accord d’Ottawa et à se soumettre à ses conditions.
Lorsqu’Ottawa finance des programmes, il impose des conditions et d’importants délais, réduisant d’autant l’efficacité de ses politiques. Avec sa vision de solution unique, le fédéral répond rarement à nos besoins, préférant diluer ses interventions dans les différentes réalités du Canada. Trop souvent, les particularités du Québec sont tout simplement ignorées. Puisque le Québec veut, à bon droit, obtenir sa part d’Ottawa, il se résout à subir cette inefficacité.
On peut penser à la politique de grappes industrielles du gouvernement Trudeau. Saupoudrés d’un océan à l’autre, il serait plus que surprenant qu’il ressorte de ces programmes quelque chose de structurant. Règle générale, lorsque le fédéral soutient un secteur économique, c’est hors Québec ! Pensons au pétrole, très lié au secteur bancaire ontarien, mais aussi à la stratégie maritime ou à l’industrie automobile. À l’opposé, il contribue à déstructurer notre grappe aéronautique, notre économie verte, nos secteurs industriels à haute valeur ajoutée, notre agriculture et notre forêt.
Face à tout cela, la péréquation constitue un prix de consolation décevant. En étant « Maîtres chez nous » dans un Québec indépendant, donc privé de la péréquation, nous aurions tout ce qu’il faut pour réussir notre développement. Différentes études ont montré la viabilité financière d’un Québec indépendant. Mentionnons, Les Finances d’un Québec indépendant de Maxime Duchesne (2016), Un Gouvernement de trop de Stéphane Gobeil (2012) ou encore Les Finances d’un Québec souverain de François Legault (2005). Dans toutes ces études, un Québec indépendant réussit à dégager un surplus.
Plus important encore que sa viabilité financière, un Québec indépendant bénéficierait d’une viabilité économique. Il aurait les coudées franches pour mener à bien ses politiques économiques et faire rayonner ses secteurs forts, comme il l’a fait pour ses politiques sociales dans le contexte d’austérité imposé par Ottawa.