Un processus de paix signé Obama

Le cercle vicieux : colonisation, résistance, répression

Au cours des prochains mois, les médias internationaux vont couvrir largement une nouvelle ronde de négociations pour une solution durable du conflit israélo-palestinien. Par cette initiative américaine, le président Barack Obama s'engage dans sa mission diplomatique la plus épineuse à ce jour. Elle sera déterminante pour sa présidence.
Il a fermement indiqué à Israël qu'elle devra prendre des mesures difficiles pour atteindre la paix, comme de mettre fin à l'expansion des colonies juives en territoire palestinien occupé et de se rallier à l'idée de créer un État palestinien indépendant. En fait, on revient de très loin sur cette question puisque les Nations unies en 1947 avaient déjà voté pour la création d'un État arabe en Palestine.
Est-il réaliste de penser que cette fois-ci, nous sommes enfin sur la bonne voie et que la communauté internationale peut espérer, après de nombreuses tentatives avortées de processus de paix, un dénouement favorable à ce conflit qui empoisonne depuis 60 ans la stabilité internationale?
Il est indéniable qu'une résolution définitive du conflit israélo-palestinien aurait un impact immense -- aussi grand, sinon plus que la chute du mur de Berlin en 1989 -- sur la réduction des tensions entre l'Occident et le monde musulman; elle couperait l'herbe sous le pied à l'islam radical, comme la mouvance al-Qaïda. Ce conflit détient les clés de la paix pour l'ensemble du Moyen-Orient, aussi bien en Irak qu'en Afghanistan.
L'Iran
Toutefois, bien des difficultés vont se dresser sur la route ambitieuse du président Obama. La première: l'Iran. Ce pays contrôle à distance deux ennemis irréductibles d'Israël: le Hamas palestinien, bien installé à Gaza, et le Hezbollah libanais, qui maîtrise la frontière du Liban du Sud, entre le Liban et Israël. L'Iran dispose par ailleurs d'un seul allié dans le monde arabe sur lequel il possède une influence significative: la Syrie. Ce pays veut récupérer d'Israël le plateau du Golan qu'il a perdu en juin 1967 lors de la Guerre des Six jours.
L'implication de l'Iran dans les négociations à venir pose d'énormes problèmes stratégiques, le plus gros étant sa volonté non avouée de se doter de l'arme nucléaire, à laquelle s'oppose avec vigueur le monde occidental, au premier chef les États-Unis et, pour des raisons évidentes, Israël, dont l'Iran appelle à la destruction. Si Israël donnait suite à son projet d'aller détruire par une action militaire préventive les installations de fabrication nucléaire en Iran, on peut facilement imaginer que la ronde de paix à venir éclaterait en mille morceaux et que le conflit au Proche-Orient entrerait dans une autre phase de violence imprévisible et extrêmement dangereuse pour l'Occident. Israël a déjà utilisé son aviation pour détruire en 1981 en Irak un réacteur nucléaire, ce qui avait conduit à l'époque à une condamnation de l'action par le Conseil de sécurité de l'ONU.
Benjamin Nétanyahou
La deuxième difficulté: le nouveau premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou. Ce «hardliner» est à la tête d'une coalition gouvernementale conservatrice qui le rend vulnérable aux mains des nationalistes purs et durs et des ultra-orthodoxes religieux. Il refuse d'endosser la création d'un État palestinien et pense qu'on doit laisser se développer naturellement les colonies juives en terre palestinienne. Il favorise la mise en place d'une forme limitée d'entité gouvernementale pour les Palestiniens. Il insiste pour dire que la priorité doit plutôt être accordée aux menaces extérieures à la sécurité d'Israël, à savoir les ambitions nucléaires de l'Iran.
Les positions qu'il adopte ne sont pas nouvelles et se situent en droite ligne avec celles qu'il avait défendues à l'époque où il fut premier ministre d'Israël, de 1996 à 1999. Son credo d'alors est le même aujourd'hui: sécurité d'abord pour Israël en échange de la paix. Nétanyahou sera enclin à entretenir des relations conflictuelles s'il juge que la sécurité d'Israël est menacée.
La Maison-Blanche
Troisième difficulté: Washington. Israël compte sur de nombreux et puissants amis à Washington. Le lobby juif américain regroupe un conglomérat de plus de 30 organisations politiques juives qui défend habilement les intérêts de l'État d'Israël depuis plusieurs décennies. Il entretient des appuis solides et larges auprès des élus américains au Congrès, tant chez les démocrates que chez les républicains. Ceux-ci ne manqueront pas de rappeler à l'ordre un «jeune» président qui s'écarterait trop de la ligne d'appui inconditionnel des États-Unis à Israël.
Pour les États-Unis, Israël est de loin leur premier allié au Moyen-Orient depuis sa fondation en 1948, basée sur des valeurs démocratiques communes, des affinités religieuses et des intérêts de sécurité. Les Américains accorderont à Israël une aide militaire évaluée à 30 milliards de dollars entre 2008 et 2015. Tout indique qu'Israël possède l'arme atomique.
D'autres enjeux
Les embûches immédiates qu'on vient de décrire et auxquelles devra faire face le président américain semblent formidables à franchir. Mais il y a aussi des enjeux très délicats qui peuvent faire dérailler tout processus de paix durable, dont la question des réfugiés palestiniens et celle reliée aux colonies israéliennes en territoire palestinien.
La création d'Israël s'inscrivait dans une démarche sioniste qui a été amorcée à la fin du XIXe siècle et qui militait pour l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif. À la suite de l'extermination par l'Allemagne nazie de six millions de juifs, l'Occident s'est ému d'un tel désastre humanitaire et a décidé en 1947 par la résolution 181 des Nations unies d'un Plan de partage de la Palestine. Ce plan proposait le partage de la Palestine entre deux États -- l'un juif, l'autre arabe -- avec Jérusalem sous contrôle international. La résolution 181 fut acceptée par 33 voix pour, 13 contre et 10 abstentions.
Les Palestiniens et les gouvernements de tous les États arabes rejetèrent en bloc cette décision, vue comme une intrusion intempestive et coloniale de l'Occident en Orient, dans un contexte où une large majorité d'Arabes habitaient la Palestine (1,2 million de Palestiniens contre 600 000 Juifs). Ils signifièrent qu'ils s'opposeraient par la force à cette résolution, ce qui a entraîné le premier conflit israélo-arabe de 1948. Seul l'État d'Israël vit le jour, dans la controverse et la violence.
Guerre israélo-arabe
Devant le refus arabe des décisions de l'ONU de 1947, les Juifs prirent l'offensive et balayèrent les forces palestiniennes, ce qui provoqua le premier exode palestinien. Au mois de mai 1948, l'État d'Israël fut officiellement proclamé et les États arabes entrèrent en guerre. En raison d'une armée bien organisée, très motivée, les Israéliens remportèrent la première guerre israélo-arabe. Cette victoire décisive leur permit de conquérir près de 75 % de la Palestine, ce qui représente aujourd'hui les frontières internationalement reconnues d'Israël. Il s'en suivit un deuxième exode palestinien, en 1948, pour un total d'environ 750 000 réfugiés palestiniens.
Le problème humanitaire des réfugiés n'a jamais été réglé et est aujourd'hui un point de discorde majeur entre Palestiniens et Israéliens. On évalue en 2005 à 4 millions de personnes le nombre de réfugiés palestiniens de 1947 et 1948 et leurs descendants. Leur «retour» préconisé par les dirigeants palestiniens provoquerait en Israël (7,1 millions de personnes, dont 5,5 millions de Juifs) un important déséquilibre démographique qui remettrait en cause le fondement même de l'État d'Israël.
Les frontières
La question des frontières est un autre enjeu explosif. La Bible donne des limites bien plus larges que celles octroyées en 1947 et est utilisée par une partie des Israéliens, sous la forme d'un «Grand Israël», pour justifier l'occupation des territoires palestiniens. Le rejet des Arabes en 1947 de la résolution 181 de l'ONU, les victoires remportées lors de la Guerre de Six jours en 1967 (notamment la prise de la Cisjordanie palestinienne) justifient aux yeux des Israéliens «l'annexion» des territoires conquis et de «l'implantation» de sa population sur ceux-ci.
On évalue aujourd'hui à environ 500 000 le nombre d'Israéliens répartis en une centaine de colonies et vivant en territoire palestinien (2 millions de Palestiniens) de la Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Ces implantations sont jugées illégales par le droit international et sont condamnées par les Nations unies. La crainte est que les colonies idéologiques, installées profondément en territoire palestinien, peuplées de colons du courant sioniste religieux, de plus en plus extrémistes, rendent impossible toute paix et vouent Israël à la guerre permanente.
Les colonies juives en Cisjordanie rendent la vie difficile aux Palestiniens. Leur retrait total, en raison du nombre important de personnes impliquées et des motifs idéologiques et religieux à l'appui du peuplement, pourrait amener Israël à vivre des moments pénibles d'insurrection populaire, compromettants pour sa stabilité politique. Il n'en demeure pas moins que ce sujet explosif sera au coeur de tout règlement de paix.
Suite d'échecs
L'histoire d'Israël est devenue au fil des décennies un long fleuve continu d'escarmouches et de guerres avec ses voisins, la plus récente étant la guerre de Gaza de janvier 2009. La communauté internationale a vu se dérouler devant ses yeux de multiples tentatives de rapprochements, d'armistices et de processus de paix, qui ont toutes échoué.
Le président Obama s'est engagé dans un processus de paix dont les défis, comme on l'a vu, sont considérables. Il en décevrait plusieurs s'il ne visait qu'à redorer l'image des États-Unis au Moyen-Orient, passablement ternie par la guerre en Irak. Au contraire, sera-t-il en mesure de s'éloigner de la position traditionnelle américaine d'appui inconditionnel à Israël? Pourra-t-il pratiquer un jeu exigeant, plus neutre de négociateur aux griffes longues et puissantes dans le but d'amener toutes les parties impliquées à des compromis douloureux mais nécessaires?
Sera-t-il capable de trouver en lui l'inspiration nécessaire pour se dépasser et accéder au rang d'un Lincoln du XXIe siècle? Fera-t-il directement appel au peuple américain pour le soutenir dans sa démarche éprouvante? Il ne saurait y avoir de paix dans un avenir rapproché entre Israël et ses voisins sans une implication inébranlable du président des États-Unis. Il doit tout mettre en oeuvre pour réussir, là où ses prédécesseurs ont tous échoué.
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Charles-Robert Dionne, Diplomate à la retraite, l'auteur a travaillé à l'étranger pour les gouvernements du Canada et du Québec

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