Alec Castonguay - Le premier ministre Jean Charest a témoigné avec aplomb devant la commission Bastarache cette semaine. Mais est-il trop tard? Sa crédibilité étant faible aux yeux de la population, a-t-il seulement été écouté?
Jeudi après-midi, en se présentant à la commission Bastarache qu'il a lui-même créée, Jean Charest est passé à l'histoire. Depuis Honoré Mercier en 1891, aucun autre premier ministre du Québec en fonction n'a témoigné devant une commission d'enquête publique.
Il y a 119 ans, c'est le lieutenant-gouverneur du Québec, Auguste-Réal Angers, qui avait forcé la tenue d'une enquête publique (visiblement, le lieutenant-gouverneur avait plus de mordant que maintenant). L'accusation touchait le versement d'une somme de 175 000 $ par le gouvernement Mercier à une compagnie de chemin de fer qui devait compléter une route en Gaspésie. Avec ce montant, l'entreprise a versé 100 000 $ à la campagne électorale du premier ministre Mercier, détournant ainsi des fonds publics au profit d'un parti politique.
Même si le rôle direct joué par Honoré Mercier n'a jamais été prouvé durant l'enquête, le lieutenant-gouverneur Angers retire néanmoins sa confiance au gouvernement puisque les audiences démontrent que le stratagème a bel et bien eu lieu. M. Angers demande alors à Charles de Boucherville de former un nouveau cabinet. Il dirigera la province pendant un an, du 21 décembre 1891 au 16 décembre 1892.
La commission Bastarache, qui veut éclaircir le processus de nomination des juges et la pression des collecteurs de fonds libéraux, est évidemment d'un autre ordre. Mais le passage d'un premier ministre en fonction démontre le sérieux des allégations.
Jean Charest a posé la main sur la Bible, décliné son nom et sa fonction, avant de promettre de dire «toute la vérité». Un passage obligé qui pourrait devenir une image marquante, selon Christian Dufour, politologue à l'École nationale d'administration publique. «J'ai trouvé ça humiliant pour lui, mais aussi pour tout le Québec. Voir un premier ministre prêter serment, comme un accusé, ça secoue. C'est l'institution qui est appelée à la barre», dit-il.
Gomery a ouvert le chemin
Heureusement pour Jean Charest, la commission Gomery sur le scandale des commandites a ouvert le chemin en 2004, affirme Anne-Marie Gingras, professeure de sciences politiques à l'Université Laval. Le premier ministre Paul Martin avait alors subi le même sort. «Les gens sont davantage habitués. Ça ne rabaisse pas la fonction, car ils savent que ça fait partie des règles du jeu», dit-elle.
Jean Charest a nié en bloc les allégations de Marc Bellemare, notamment sur la rencontre du 2 septembre 2003, de sorte que le juge Bastarache est aux prises avec un duel de la vérité entre deux hommes. «On sait que quelqu'un ment, affirme Mme Gingras. C'est difficile de se faire une opinion, ce qui peut évidemment augmenter le niveau de cynisme dans la population.»
La prestation de Jean Charest a été bien perçue par les observateurs politiques. L'homme était calme, à l'aise, et a démontré qu'il a l'expérience de la politique. «Il a bien paru. Il a eu l'air sérieux et en contrôle», dit Christian Dufour. Est-ce que ce sera suffisant? «Je n'en suis pas certain, enchaîne M. Dufour. Les gens sont en colère. Ils veulent une commission d'enquête plus large depuis des mois et le premier ministre refuse de bouger. Quand on est fâché, on n'écoute plus.»
C'est aussi l'opinion de Michel Fréchette, communicateur-conseil chez la firme Fréchette et Girard, qui a une longue feuille de route en politique. «Le gros problème, peu importe sa performance, c'est la crédibilité. Elle est à zéro. C'est rendu au point où quand Jean Charest dit son nom et son titre, les gens doutent!», dit-il en riant.
S'il est difficile à chaud de savoir à quel point la population a apprécié le témoignage de Jean Charest, on peut toutefois affirmer que les militants et partisans libéraux ont certainement aimé voir le premier ministre ferme et en contrôle, ce qui n'est pas arrivé souvent depuis quelques mois. «Cette commission coûte une fortune en crédibilité au Parti libéral du Québec, alors qu'on étale sur la place publique les pressions des collecteurs de fonds. Il fallait au moins que Charest rassure son parti», dit Michel Fréchette.
Il y est arrivé, juge Christian Dufour. «Ça va calmer ses troupes. Jean Charest a encore l'air d'un premier ministre et il ne donnait aucun signe de vouloir céder sa place. Pour lui, c'était le plus important à court terme. C'était même vital, car il a besoin de temps pour reprendre le dessus et il devait éviter de semer le doute dans son parti.»
Reste à voir de quel côté le tribunal de l'opinion publique, ultime juge des politiciens, penchera d'ici la fin des audiences. Et ce que le commissaire Bastarache retiendra des témoins et de la prestation de Jean Charest.
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Avec la collaboration de Kathleen Lévesque
Un premier ministre qui fait l'histoire
«Le gros problème, peu importe sa performance, c'est la crédibilité. Elle est à zéro. C'est rendu au point où quand Jean Charest dit son nom et son titre, les gens doutent!», dit-il en riant.
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