Commission Bastarache

Autopsie d’une pantalonnade

Nous le voyons bien, parce qu’en apparence tout a été mis en place pour que Jean Charest soit victorieux, de sérieux doutes planent non seulement sur l’impartialité de cette commission, mais également sur ses conclusions.

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Chronique de Louis Lapointe

Il ne fallait surtout pas s’attendre à autre chose que ce que nous avons vu à la télévision hier. Un Michel Bastarache étonnamment complaisant et un Jean Charest exagérément choqué.

Selon Michel Bastarache, il ne fait aucun doute, le menteur n’est pas Jean Charest, c’est Marc Bellemare, alors que pour Jean Charest, Marc Bellemare serait l’unique responsable du cirque médiatique auquel nous avons assisté l’automne dernier. S’il n’avait pas traité Jean Charest de menteur, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

Pourtant, l’un et l’autre, le premier ministre et son commissaire, ont transformé cette commission en grossière bouffonnerie. Jean Charest a lui-même nommé le commissaire qui allait juger de sa crédibilité. On ne s’étonne donc pas que ce dernier l’ait cru, lui, plutôt que Marc Bellemare.

Si Michel Bastarache n’avait pas commis toutes ces erreurs à répétition en nommant un procureur principal qui était un sympathisant libéral, puis, pour le remplacer, l’associé du Bâtonnier du Québec, son impartialité serait moins affectée.

Pourquoi a-t-il refusé à l’opposition officielle le droit d’être désignée comme participante, pendant que Jean Charest, son parti et son gouvernement étaient tous représentés par les procureurs les plus actifs, créant par le fait même un flagrant déséquilibre qui allait miner la tenue des travaux de cette commission ?

Michel Bastarache aurait également dû déclarer que son ancien stagiaire, Me Patrick Girard, était un des procureurs qui représentait le gouvernement. Il a préféré ne pas le faire, croyant que cela était sans importance. D’où nous sort cet ancien juge, ne connaît-il pas l’une des règles les plus élémentaires de notre système judiciaire, l’apparence de justice qu’il n’a rien fait pour sauvegarder ?

Alors que, rétrospectivement, son jugement est très dur à l’endroit de Marc Bellemare et du seul haut fonctionnaire qui a corroboré son témoignage concernant les "pressions colossales" qu’il aurait subies, on se demande bien pourquoi Michel Bastarache n’a pas eu la prudence la plus élémentaire de remettre d’avance à Marc Bellemare une copie d’un rapport aussi accablant, suffisamment pour que Jean Charest s’en réjouisse devant les caméras de télévision dans les minutes qui ont suivi son dépôt. Manque de jugement ?

Pendant toute la durée des auditions, le commissaire Bastarache n’a manifestement pas traité avec le même égard les procureurs et les témoins de Jean Charest, du gouvernement, du PLQ et de Marc Bellemare, manquant souvent de considération pour ces derniers qui, contrairement à leurs opposants, ne bénéficiaient pas de la loi du nombre.

Comment ne pas constater la disproportion entre les moyens donnés aux défenseurs de Jean Charest et ceux accordés à ses détracteurs ?

Comment ne pas également conclure que le script était écrit d’avance et que le casting de Michel Bastarache, qui n‘avait pas l’indépendance d’un juge, correspondait au dessein à peine voilé de Jean Charest qui, apparemment, préférait une commission qui allait laver sa réputation et incriminer celui qui avait manqué à ses devoirs de réserve et de confidentialité, l’irrévérencieux Marc Bellemare, plutôt que de faire impartialement toute la lumière sur ses accusations?

À ce titre, il n’est pas étonnant qu’à part George Lalande, le personnel politique et les hauts fonctionnaires soient venus accréditer la thèse de Jean Charest. Même si leurs témoignages ne prouvent pas hors de tout doute que Marc Bellemare a menti lorsqu’il a dit qu’il avait subi des pressions de Fava, Rondeau et Charest, cela pourrait toutefois signifier que tous ces témoins ont respecté leur devoir de confidentialité envers le chef de l’exécutif comme ils le devaient, une possibilité jamais évoquée par le commissaire Bastarache dans son rapport.

Pour quiconque connaît un tant soit peu les arcanes du gouvernement, cette dernière hypothèse est aussi plausible que la thèse voulant que Marc Bellemare ait menti. Pour cette raison, il aurait probablement été de mise de ne pas accorder autant de crédibilité à ces témoignages.

Les hauts fonctionnaires et chefs de cabinet savent l’essentiel ce qui se passe dans le bureau de leur ministre et doivent rapporter au premier ministre tout ce qui pourrait éventuellement devenir problématique pour la stabilité de son gouvernement. C’est à ce dernier qu’ils ont juré fidélité. C'est le premier ministre qui nomme les sous ministres et les chefs de cabinets. Un fait que n'a pas manqué de rappeler Jean Charest au commissaire Bastarache.

Un haut fonctionnaire ne peut pas trahir un premier ministre toujours en fonction sans risquer de compromettre sa carrière, minant également la confiance que pourrait éventuellement lui témoigner tout successeur désigné, même ceux d’une autre allégeance politique. À ce haut niveau, le meilleur gage de loyauté envers le chef de l’exécutif n’est pas l’allégeance, mais la confidentialité absolue témoignée par le passé au chef de l’exécutif. Qui a trahi trahira !

Or, la preuve soumise au commissaire Bastarache démontre que Marc Bellemare est rapidement devenu un boulet pour Jean Charest, que ses hauts fonctionnaires avaient été profondément heurtés par le style de gestion de leur ministre. Voilà probablement pourquoi les anticorps l’ont rapidement éjecté du gouvernement, étonnamment les mêmes personnes qui sont venues témoigner qu’ils n’avaient jamais entendu parler de l’existence d’un différend entre le ministre de la Justice et le premier ministre concernant la nomination des juges.

On se demande également comment le commissaire Bastarache a pu passer à côté d’une preuve aussi accablante que celle du système qu’avait mis sur pied Jean Charest avec l’aide de Chantal Landry, Franco Fava et Charles Rondeau sans la mettre en relation avec les "pressions colossales" que Marc Bellemare dit avoir subies. Ce qu’on appelle une preuve circonstancielle.

Pourquoi un premier ministre qui aurait mis sur pied avec autant d’empressement un système aussi méticuleux de nominations partisanes n’aurait-il pas exigé d’un de ses ministres qu’il le respecte à la lettre? Ne pas contraindre Marc Bellemare à la même discipline que ses collègues du cabinet n'aurait-il pas été un mauvais exemple pour tous ceux qui auraient également souhaité n’en faire qu’à leur tête? On a vu ce qui est arrivé par la suite à des ministres aussi récalcitrants qu’Yves Séguin, Thomas Mulcair et Philippe Couillard.

Voilà probablement pourquoi la rencontre du 2 septembre 2003 n’existe plus dans l’agenda du premier ministre et la mémoire de ses proches. Elle devenait trop encombrante pour un gouvernement trop pressé de nommer et récompenser ses amis.

Comment ne pas conclure, dès lors, que tout a été fait au cours de cette commission pour accréditer la thèse de Jean Charest et démolir celle de Marc Bellemare ? Un ancien ministre ne peut tout simplement pas s'attaquer impunément à la probité d'un gouvernement auquel il avait juré fidélité!

Nous le voyons bien, parce qu'en apparence tout a été mis en place pour que Jean Charest soit victorieux, de sérieux doutes planent non seulement sur l’impartialité de cette commission, mais également sur ses conclusions.

Cette pantalonnade est loin d’être terminée !

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2011

    Il y a, à mon sens, 2 ingrédients majeurs qui composent la recette de la profonde incompétence du gouvernement Charest:
    1) Le manque de jugement: cette lacune a beaucoup été citée lors du premier mandat, notamment dans l'affaire des écoles juives. On semble avoir oublié ce handicap, comme si le jugement pouvait faire l'objet d'une greffe. Pourtant la série de mauvaises décisions prises par ce gouvernement démontre que le jugement fait toujours défaut, et pénalise lourdement le Québec.
    2) Le manque de sens de l'État: l'idéologie de M. Charest et son parti privilégie les intérêts privés (surtout les siens et ceux de leurs amis!) au détriment du bien commun. Quand a-t-on vu Charest être capable de s'élever au-dessus de la mêlée pour arbitrer les divergences d'intérêt dans le sens du bien-être de la collectivité québécoise? Il ne peut pas le faire, car pour lui, le bien-être de l'ensemble de la société (s'en préoccupe-t-il vraiment?) passe nécessairement par celui de ses amis de la finance et de l'entreprise.
    À cette recette infaillible d'incompétence s'ajoute un autre facteur qui mène tout droit à la corruption: l'absence d'éthique de Jean Charest.
    Le Québec tout entier paie un lourd tribut pour avoir mis à sa tête quelqu'un qui, non seulement n'a pas les compétences pour gouverner, mais dont l'intelligence s'est consacrée à utiliser les rouages de l'État pour enrichir ses amis et la grande "famiglia" libérale.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 janvier 2011

    Cette commission fut un simulacre d'enquête. Pensez donc: rien ne fut fait pour vérifier l'agenda du PM le 2 septembre. Bastarache a préféré s'en laver les mains et ne pas se prononcer sur ce qui était au coeur des allégations de Bellemare.
    Jamais il n'a fait mention qu'un juge avait dû rencontrer un collecteur de fonds afin de manifester son intérêt pour un poste: la filière qu'il fallait emprunter pour une nomination était donc connue de tous. Et pourtant ça a été mentionné clairement lors de la commission. Il n'a jamais relevé les déclarations des grands collecteurs de fonds, le fait que ces gens avaient un accès privilégié au PM, et qu'ils étaient impliqués dans les nominations. Jamais.
    Ce fut un rapport aussi mensonger que tout ce qui caractérise ce gouvernement.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 janvier 2011

    À tous vos arguments, j'en ajouterais un autre. Au départ, Bastarache avait prévu examiner l'ensemble des nominations de juges faites entre 2000 et 2010.
    Or, le gouvernement, lire Jean Charest, a refusé de transmettre cette liste à la Commission, malgré la garantie absolue de confidentialité à laquelle celle-ci s'engageait. Et cette demande a été adressée au gouvernement à plus d'une reprise.
    Bastarache avait le pouvoir de contraindre le gouvernement à lui remettre cette liste. Ce qu'il n'a pas fait. Pourquoi ne l'a-t-il pas exigée? Et pourquoi le gouvernement a-t-il refusé de transmettre ces documents à la Commission? Poser la question c'est y répondre.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 janvier 2011

    M.Lapointe,votre analyse est très juste et pertinente. Il y a un fait déterminant que je retiens avant tout dont le juge n'a pas tenu compte pour déterminer qui dit vrai dans cette saga judiciaire.
    Pourtant il avait à sa disposition un jury qui suivait au jour le jour le débat contradictoire. Pas un jury de 12 mais de milliers de citoyens ce qui le rendait encore plus crédible. «Vox populi vox dei» monsieur le juge.
    François Beauchemin. Lévis.