Frédérique Doyon - La peine de mort «dans certains cas»? Oui à la torture «à certaines conditions»? L'invitation au suicide des prisonniers criminels? Ce type de discours témoigne d'un «recul» de la société et d'«un mépris total de l'humain», selon le philosophe Thomas De Koninck. C'est plutôt à la prévention, à la réhabilitation et à la dignité humaine qu'il faut faire appel sur ces terrains délicats.
Les récentes déclarations chocs de hauts responsables politiques conservateurs ne manquent pas de soulever des enjeux éthiques fondamentaux, que l'éminent professeur de philosophie de l'Université Laval Thomas De Koninck se fait un devoir et un plaisir de rappeler. «Tout être humain a une égale dignité et a droit à notre respect du seul fait qu'il est humain», affirme-t-il en entrevue au Devoir.
Dans son livre phare De la dignité humaine, publié en 1995, réédité en 2002, il accorde une valeur absolue au concept de dignité, à l'instar de Kant avant lui. «Le progrès d'une culture doit aller dans la direction du respect, de la reconnaissance de cette dignité humaine.»
Quand le premier ministre Stephen Harper cautionne la peine de mort et la torture «dans certains cas», quand le sénateur conservateur Pierre-Yves Boisvenu laisse aux criminels dans les prisons le choix et le moyen de se suicider, ils engagent donc la société dans la direction opposée du progrès. Les mots «primitif» et «rétrograde» reviendront dans ses propos, en cours d'entrevue.
«C'est un appel à la violence, dit le fils du philosophe Charles De Koninck. Un retour à la loi du talion, oeil pour oeil, dent pour dent. Et la violence n'est jamais une solution.» Les propos du sénateur Boisvenu, qui réfèrent à la «pire» des violences, celle contre soi, témoignent d'un «mépris total de l'humain», selon lui. Pourtant le Canada n'a pas une culture de la violence comme aux États-Unis, note-t-il. Une voie qu'il vaut mieux continuer à suivre.
La peine de mort a été abolie en 1976 au pays. Les raisons invoquées sur le site du ministère de la Justice: le risque de condamnations erronées, les préoccupations découlant du fait, pour un État, de mettre fin à la vie d'un individu et les incertitudes au sujet de l'efficacité de cette mesure draconienne comme moyen de dissuasion. Depuis, le débat a ressurgi ponctuellement dans l'arène politique. La population semble elle aussi encore ambivalente sur cette question sensible, puisque les sondages recensent tantôt (2010, Angus-Reid) 69 % de Québécois favorables à la peine capitale, tantôt (4 février, Léger-Marketing) 32 %.
Pour le philosophe, remettre en question ces acquis témoigne d'un profond problème de culture. Et bien plus que des sondages, il faudrait «un débat véritablement constructif» pour le résoudre.
«Cela témoigne du fait que nous sommes dans une société qui n'accorde pas l'importance qui lui est due à la culture. À proportion que la culture décroît, la violence croît.» Le développement de l'esprit humain, et donc de la société, dépend avant toutes choses de la culture, croit-il. «On le voit notamment aujourd'hui dans la façon dont les nouveaux pouvoirs de communication transforment tout: la politique, l'économie, etc.» Sa vision de la culture embrasse les arts, bien sûr. «Mais au coeur de la culture, il y a l'éthique; et au coeur de l'éthique, la reconnaissance de la dignité humaine.» Ce qui met en relief aussi et surtout l'importance de l'éducation, «ce qu'il y a de plus difficile et fascinant dans une société».
Principe de responsabilité
Les motifs de sécurité publique invoqués pour justifier le recours à des informations qui aurait été recueillies sous la torture ou pour admettre la peine capitale dans certaines situations ne sont qu'un «prétexte», selon M. De Koninck. «Nous vivons dans une société très sécuritaire. La meilleure manière d'assurer la sécurité est préventive et c'est encore l'éducation. C'est l'approche préventive qui a fait progresser notre civilisation.»
Cautionner la peine de mort même «dans certaines conditions» tend aussi à déresponsibiliser l'humain, en niant ses capacités à se déterminer, à apprendre, à évoluer. Thomas De Koninck va plus loin. Il évoque le principe de responsabilité du philosophe allemand Hans Jonas: une responsabilité engagée vers les générations futures. Il ne suffit plus de répondre de ses actes envers autrui, ici et maintenant. À ce titre, le philosophe déplore aussi l'attitude du gouvernement en matière d'écologie et d'environnement.
«Les gens vont dire qu'on n'est pas réalistes, mais on l'est... à long terme. Pensez aux jeunes: il faut progresser vers un idéal de justice et de paix, bien plus que de violence.»
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Thomas De Koninck en cinq dates
_ 1934: naissance à Louvain, en Belgique
_ 1956: une bourse Rhodes lui permet d'étudier à Oxford (St. John's College), où il complète sa maîtrise
_ 1964: professeur à la faculté de philosophie de l'Université Laval, dont il sera le doyen de 1974 à 1978 et où il enseigne toujours
_ 1995: parution de l'ouvrage De la dignité humaine, pour lequel il reçoit le prix La Bruyère de l'Académie française (premier lauréat canadien)
_ 2004: titulaire de la chaire «La philosophie dans le monde actuel»
Point chaud
«Un mépris total de l'humain»
Le discours conservateur sur la peine de mort et la torture constitue une régression, dit le philosophe Thomas De Koninck
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