C'est dans les pages du Devoir du 3 novembre 1959 qu'apparaît une première correspondance du «Frère Un Tel». Ce texte, «La langue est un bien commun», qu'on lira dans la page Idées ci-contre, est le premier coup de butoir de Jean-Paul Desbiens, qui se cache sous ce pseudonyme. L'homme, qui est de la race des libres-penseurs, ose s'attaquer aux colonnes du temple avec une virulence qui le fait vite remarquer. Le temps, notera-t-il, n'est pas aux nuances.
Le Frère Untel (qu'il écrivit en un seul mot au moment de publier ses célèbres Insolences) a par ses puissants coups de gueule contribué à réveiller le Québec et à le pousser vers la Révolution tranquille. Cette révolution, comme il le dira lui-même, se préparait depuis déjà longtemps. Beaucoup l'appelaient de leurs voeux, au Devoir, à Cité libre, au Parti libéral du Québec. Même l'Union nationale, qui venait de perdre son «cheuf», la pressentait. Prenant la succession du premier ministre Maurice Duplessis, Paul Sauvé n'avait pas voulu faire autre chose avec son célèbre «désormais» que canaliser la pression qu'il sentait monter.
Les Insolences de Jean-Paul Desbiens n'expriment rien d'autre que le refus de la résignation d'un homme «né pour un petit pain». Sa première lettre au Devoir est un cri d'alarme. Il porte sa plume dans la plaie du «joual» dont il n'accepte pas le côté réducteur. Il écrit : «Nos élèves parlent joual parce qu'ils vivent joual. On ne réglera rien en agissant sur le plan du langage [...]; c'est sur la civilisation qu'il faut agir.» Il poursuit en soulignant que «c'est toute la société canadienne-française qui abandonne. C'est nos commerçants qui affichent des raisons sociales anglaises [...]. Et voyez les panneaux-réclames, le long des routes. Nous sommes une race servile. Nous avons eu les reins cassés il y a deux siècles et ça paraît.»
Avec le Frère Untel, c'est la parole qui se libère. Le symbole est d'autant plus fort que celui qui brise ses chaînes est un religieux qui a fait voeu d'obéissance. Son propos est entendu partout. Il parle haut et fort («C'est à la hache que je travaille», dit-il dans la préface des Insolences) et il réclame une réforme du système d'éducation du Québec qui viendra avec le rapport Parent et qu'il aidera à mettre en place une fois revenu d'Europe, où sa communauté avait envoyé l'insolent en pénitence.
Le Québec doit beaucoup à cet homme qui, disait-il en conclusion des Insolences, avait voulu créer un appel d'air pour que «s'expriment les générations de silencieux d'où je suis sorti». L'enseignant qu'il était aura réussi. Pour la société québécoise, il aura été un grand pédagogue.
bdescoteaux@ledevoir.ca
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