Dans sa rencontre éditoriale avec les journalistes du Devoir récemment (« Investir doit être payant pour l’État, selon Jacques Daoust », 23 septembre), le ministre de l’Économie Jacques Daoust avait bien raison d’expliquer que ce n’est pas à l’État québécois de soutenir n’importe quel investissement, y compris les canards boiteux qui ne garantissent nulle croissance et trop peu de création d’emplois. Mais en citant de grandes entreprises comme exemples à suivre et à encourager — telles Bombardier, CGI ou Ubisoft — parce qu’elles sont exportatrices, mais aussi parce qu’elles contribueraient à faire naître des PME et les emplois qui y sont créés, il semble croire au mythe colporté par le chercheur Bennett Harrison. Ce dernier, dans son ouvrage Lean and Mean (BasicBooks, 1994), soutient que, si ce sont toujours les PME qui créent la très grande majorité des emplois — ce qu’a démontré Birch au début des années 1980 aux États-Unis —, c’est parce que ces dernières travailleraient en sous-traitance pour de grandes entreprises, ou en seraient issues.
Pourtant, non seulement la théorie de Harrisson a-t-elle été décriée par de nombreux chercheurs comme Evans et Leighton, Loveman ou Kirchhoff aux États-Unis, ou encore Baldwin et Picot au Canada, mais elle a aussi été invalidée par les multiples travaux de l’OCDE sur le sujet de l’origine première des emplois.
Les grande achètent les petites
Non seulement les liens de dépendance entre les grandes entreprises et les PME touchent moins de 10 % d’entre elles, mais plusieurs grandes entreprises grandissent grâce aux PME. Les compagnies pharmaceutiques, par exemple, se sont développées, dans les dernières décennies, à peu près uniquement en achetant les brevets — sinon les petites entreprises elles-mêmes — à la source des principales innovations. On n’a qu’à penser près de nous à l’entreprise Softimage qui a été vendue à Microsoft en 1994 qui, incapable de poursuivre le génie de cette firme, a dû céder la firme à Avid Technologies rachetée par la suite par Autodesk. Nos travaux à l’OCDE ont d’ailleurs démontré qu’un dollar investi dans la recherche et développement ou l’innovation dans les PME rapporte plus de 20 fois le même dollar investi dans une grande entreprise. De même, un emploi dans les PME coûte en général moins de 200 000 $ en investissement privé et public, alors que c’est cinq fois plus dans les grandes entreprises. C’est ce qu’avait compris Toyota jusqu’à ces dernières années en considérant que c’était les compétences et la flexibilité des petites entreprises appliquées dans chaque pièce entrant dans l’assemblage qui faisaient que cette firme pouvait vendre ses voitures de par le monde. Cela inversait en quelque sorte la théorie de Harrisson : ce sont souvent les PME qui permettent aux grandes entreprises de se démarquer sur les marchés mondiaux.
Les mauvaises réponses du ministre sont particulièrement flagrantes quand il parle des gazelles ou des PME à forte croissance : il a affirmé qu’il se limiterait désormais à aider une centaine d’entre elles plutôt que les 300 que visait la stratégie du gouvernement Marois. Ces firmes représentant pourtant moins de 5 % des entreprises continuent à compter pour plus de 50 % des nouveaux emplois (emplois souvent bien rémunérés, comme il le souhaite). En plus, elles participent activement à la modernisation de l’économie et exportent le plus souvent pour satisfaire une demande grandissante. Quelques-unes d’entre elles seront par surcroît les moyennes sinon les grandes entreprises de demain. C’est ce que rappelle à nouveau le récent rapport de l’OCDE de 2010, « Les entreprises à forte croissance : comment le gouvernement peut faire la différence ». Un autre arrive à la même conclusion : le rapport danois de l’OCDE de 2013 sur les comparaisons entre les programmes publics de différents pays favorisant le développement des gazelles.
Cela ne revient pas à dire qu’il faille aider n’importe quelle entreprise souhaitant devenir une gazelle. Il faut non seulement que les candidates aient déjà enclenché cette croissance dans les dernières années, mais disposent déjà d’un minimum de ressources humaines variées et compétentes permettant de surmonter les défis d’une telle forte croissance, en particulier une organisation continuellement en réorganisation et le besoin constant d’innover et de saisir ou créer des opportunités nouvelles.
Ajoutons que c’est la bureaucratie dans les grandes entreprises — une inertie que rencontre toute organisation de forte taille — qui fait en sorte qu’il en coûte si cher pour créer des emplois. En plus, chaque fois que des problèmes surviennent, elles doivent de nouveau recourir à l’État pour — au mieux — consolider ces emplois sans que leur nombre augmente, comme nous l’avons vu dernièrement chez Bombardier Aéronautique.
Un C pour le ministre Jacques Daoust
Les emplois dans les grandes entreprises viennent des PME, et non l’inverse
On se demande d'où il sort
Pierre-André Julien9 articles
Professeur émérite, Institut de recherche sur les PME, Université du Québec à Trois-Rivières
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