Avant de répondre à des analyses simplistes, il faut toujours se demander si cela en vaut la peine. Mais, dans le cas d’Alain Bouchard, fondateur des dépanneurs Couche-Tard, plusieurs des affirmations qu’il vient de faire devant la Chambre de commerce de Montréal reviennent trop souvent dans l’actualité pour ne pas mériter qu’elles soient réfutées.
Par exemple, sa critique de la péréquation que le Québec reçoit d’Ottawa — son « BS », comme il l’appelle — occulte le fait que celle-ci n’augmente pas alors qu’elle est payée au moins aux trois quarts par les impôts québécois et le reste par les redevances pétrolières. Même l’Ontario reçoit une partie de ce prétendu « BS », ce que le chef d’entreprise néglige aussi de mentionner. En retour, cette supposée manne a probablement coûté plus d’un point de chômage à ces deux provinces en raison du dollar canadien qui se trouve surévalué, ce qui a forcé la fermeture de centaines d’entreprises manufacturières chez nous et en Ontario. C’est ce qu’on appelle le mal hollandais, mal diagnostiqué au XVe siècle avec l’or et l’argent de l’Amérique qui, avec la surévaluation de la piastre espagnole et la fermeture de centaines de milliers d’entreprises au profit des entreprises anglaises et françaises, a finalement causé la faillite de l’Espagne et du Portugal.
Mais venons-en au fond de la pensée de M. Bouchard, soit le manque d’entrepreneuriat au Québec. Il est vrai que le taux de création d’entreprises par rapport aux entreprises existantes n’est que de 12 % au Québec contre 15 % en Ontario. Mais cette différence s’explique en grande partie par la très forte immigration dans cette province. Puisque c’est en particulier la construction domiciliaire et le commerce de détail qui font la différence. Ainsi, dans l’industrie manufacturière, les deux provinces ont à peu près le même taux de création.
M. Bouchard connaît bien le cas du commerce de détail, mais il oublie de dire que cette croissance se fait souvent au détriment des employés, dont justement une bonne partie doit recourir au « BS » ou à un deuxième emploi pour obtenir un revenu décent pour leur famille. Ajoutons que le taux de création d’entreprises au Québec se compare très bien avec les données de l’OCDE, puisque ce taux est, par exemple, supérieur à ceux de la Suède et de la Norvège, mais inférieur à ceux de la Slovaquie, de la Roumanie et de l’Estonie. De même, les récentes données du Global Entrepreneurship Monitor, qui analyse en très grande partie les intentions de lancer une entreprise et non les créations réelles, montrent aussi une assez bonne performance du Québec comparativement aux autres économies industrialisées.
Soulignons aussi que le reste du budget fédéral — qui inclut cette péréquation — ne semble pas servir beaucoup le Québec, comme on le voit avec la construction des navires de guerre et des brise-glaces à Vancouver et à Halifax (à moins que la ministre change d’idée dans le cas du brise-glace Diefenbaker) et avec les énormes coupes dans le soutien à la recherche et au développement et dans la lutte contre la pollution. Alors que le Québec cherche à orienter son économie vers le haut savoir et, en partie, l’écologie, et ainsi vers les hauts salaires qui leur sont associés.
En fait, on peut très bien penser que cette façon de voir d’Alain Bouchard s’explique parce qu’il est indépendantiste de coeur et qu’il souhaite le rapatriement de tous nos impôts, y compris les impôts à la consommation que paient aussi ses employés, afin d’en faire un usage autrement plus intelligent et moins idéologique que ne le fait le gouvernement fédéral.
LE QUÉBEC SUR LE « BS » DE LA PÉRÉQUATION
L’analyse simpliste d’Alain Bouchard
Le fondateur de Couche-Tard a omis plusieurs éléments clés dans son analyse, dont le peu d’intérêt des budgets fédéraux conservateurs pour notre économie
La démagogie discrédite ceux qui en usent
Pierre-André Julien9 articles
Professeur émérite, Institut de recherche sur les PME, Université du Québec à Trois-Rivières
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