Tony Accurso, la naissance d'un géant

Les accusations criminelles portées contre M. Accurso n'empêcheront pas Louisbourg SBC de garder sa licence, tant que M. Accurso ne sera pas déclaré coupable.

UPAC - le « système Mascouche »



André Noël La Presse - L'empire Accurso est tentaculaire. Il compte une douzaine d'entreprises, il a un chiffre d'affaires estimé à 1 milliard par année et la même somme en contrats publics depuis 20 ans. Il emploie quelque 3500 personnes. Ensemble, les sociétés de Tony Accurso sont responsables de chantier parmi les plus importants de la province, notamment ceux du Centre universitaire de santé McGill, de l'échangeur Décarie Nord, du pont ferroviaire au-dessus de l'autoroute 640 et de l'usine de production d'eau Atwater. Regard sur le fief du géant de la construction.
> Graphique de l'empire Accurso
L'histoire de Tony Accurso, 60 ans, c'est aussi celle de l'industrie de la construction au Québec, de syndicats et de la vie politique. Retour sur les origines.
Le père de Tony Accurso, Vincenzo, est arrivé au Québec en 1922 à l'âge de 22 ans, parmi les vagues d'immigrants italiens qui fuyaient la misère après la Première Guerre mondiale. Comme bien d'autres, il a gagné son pain au pic et à la pelle.
Il envoyait son salaire de manoeuvre «à sa mère et à ses deux soeurs restées en Italie», a raconté l'avocat de Tony Accurso, Me Louis Demers, dans une déclaration remplie d'émotion qu'il a lue l'automne dernier devant la Régie du bâtiment.
C'est lui, Vincenzo, qui a fondé Constructions Louisbourg, qui allait devenir l'une des plus importantes entreprises de construction du Québec. Il était aussi propriétaire de la carrière Mirabel et a investi dans l'immobilier et les courses de chevaux, mais ses actifs restaient limités.
Vincenzo Accurso était le vieil ami de l'entrepreneur bien connu Jean-Guy Mathers, lui-même propriétaire d'une grande carrière à Saint-Eustache. Quand M. Accurso est mort, en 1982, ses affaires ont été reprises par son fils Tony, alors âgé de 30 ans, et par son beau-fils, Mario Taddeo, 44 ans.
En mai 1986, M. Mathers se rend à un mariage au Ritz-Carlton. Il a la surprise de voir Mario Taddeo, alors organisateur politique pour le Parti conservateur, non pas en compagnie de sa femme, Géraldine (soeur de Tony Accurso), mais avec Louise Caron... qui est la femme de Tony.
Mario Taddeo se lie pour de bon avec Louise Caron. Sa femme Géraldine entreprend le processus de divorce. Elle dépose en cour une déclaration de Jean-Guy Mathers faite sous serment. Ce dernier répond aux questions des avocats.
«Je les ai vus grandir, ces enfants», dit-il en parlant de Tony et de sa soeur Géraldine Accurso-Taddeo. Jean-Guy Mathers est propriétaire du Centre sportif Saint-Eustache. Au cours de sa déclaration, il indique que Tony Accurso se rend tous les mois ou presque à ce centre, souvent en compagnie du président de la FTQ, Louis Laberge.
Un an plus tard, Mario Taddeo et un de ses employés se font assassiner par un tueur masqué, au fond de la carrière Mirabel. Le meurtre n'a jamais été éclairci. L'enquête policière a catégoriquement écarté Tony Accurso comme suspect.
Sous l'aile de Louis Laberge
À cette époque, Louis Laberge vient de créer le Fonds de solidarité FTQ. Tony Accurso est «pris sous son aile», selon la déclaration lue par son avocat Louis Demers. Les deux hommes amorcent alors une collaboration fructueuse tant pour Louisbourg que pour le Fonds FTQ, a ajouté Me Demers.
En 1990, le Fonds investit 4,4 millions de dollars dans l'usine de tuyaux de béton de M. Accurso, Hyprescon, afin qu'il puisse acheter un concurrent sur le point de fermer. En 1993, le Fonds investit 16 millions dans les Galeries Laval, centre commercial acquis par M. Accurso. La société Marton, dont M. Accurso est copropriétaire, construit le siège social de la FTQ.
Louis Laberge continue de voir M. Accurso en dehors du travail, et voyage avec lui. Son départ à la retraite n'altère en rien les bonnes relations de l'entrepreneur avec la centrale syndicale. Le fils d'un de ses successeurs, Henri Massé, ira ainsi travailler chez Marton.
Le Fonds achète la moitié d'un immeuble de M. Accurso à Saint-Eustache, où est située Louisbourg. En 1999, le Fonds et M. Accurso achètent ensemble Simard-Beaudry, importante entreprise de construction de Laval. L'année suivante, Simard-Beaudry achète le gros des actifs de la société d'asphaltage Beaver, qui a fait faillite après l'effondrement du viaduc du Souvenir.
M. Accurso, que tous décrivent comme un homme charmant, a le tour d'entretenir des relations dans le monde syndical, mais aussi de se lier d'amitié avec des directeurs de firmes d'ingénierie, des maires et des cadres municipaux, des organisateurs politiques provinciaux et fédéraux... et même des journalistes.
Il accepte d'héberger le fils d'un directeur de la Ville de Laval dans son domaine de Deux-Montagnes. Il distribue les invitations pour assister à des matchs de hockey dans sa loge du Centre Bell. Il côtoie des personnalités politiques, comme l'ancien ministre péquiste Guy Chevrette, se rend à des mariages avec des organisateurs libéraux et soutient l'Action démocratique lorsque son chef Mario Dumont a le vent dans les voiles.
Le roi de la construction
Ses entreprises exécutent d'importants contrats pour le ministère des Transports du Québec et pour Hydro-Québec. Elles arrivent souvent au premier rang dans l'obtention des contrats à Montréal, à Laval et dans d'autres villes de la région. Le vérificateur général de la Ville de Montréal, Jacques Bergeron, finira d'ailleurs par le souligner. Il s'étonnera de les voir rafler presque tous les contrats dans certains arrondissements.
Bien qu'il obtienne 80% de ses contrats dans le secteur public, M. Accurso fait aussi sentir sa présence dans le secteur privé. Dans une déclaration sous serment datant de 1994 et déposée à la Cour de justice de l'Ontario, Michael Ropper, alors vice-président de la United States Pipes, note «qu'aucune entreprise ne pourrait évoluer avec succès dans l'industrie de la construction en Ontario et au Québec sans la pleine coopération de certains leaders de l'industrie, dont Tony Accurso».
Les problèmes de M. Accurso commencent il y a trois ans, quand les médias révèlent des cas troublants de générosité. L'émission Enquête, de Radio-Canada, indique que le président de la FTQ, Michel Arsenault a séjourné une semaine sur le luxueux yacht de M. Accurso, amarré dans les îles Vierges. Jean Lavallée, président de la FTQ-Construction, était aussi présent.
En 20 ans, le Fonds FTQ a donné un appui de 250 millions de dollars aux entreprises de M. Accurso. M. Arsenault réplique que l'homme d'affaires est un «ami», qui lui a été présenté par Louis Laberge. Le chef syndical confie qu'il a lui-même invité M. Accurso «des dizaines de fois» à bord de son bateau, sur le Saint-Laurent.
Le Fonds FTQ se félicite d'avoir obtenu des rendements de 12,8% dans ses placements avec M. Accurso, trois fois plus que le rendement global de 4,1%. M. Accurso, ajoute M. Arsenault, «n'a pas de fast track au Fonds de solidarité; ses dossiers sont traités comme les autres».
La Presse révèle ensuite que Frank Zampino, président du comité exécutif de la Ville de Montréal, est lui aussi allé en croisière sur le yacht de M. Accurso en janvier 2007, alors que la Ville s'apprêtait à accorder le plus important contrat de son histoire, celui des compteurs d'eau, à une de ses entreprises et à la firme d'ingénieurs Dessau.
Le directeur général de la Ville, Robert Abdallah, sera ensuite embauché par M. Accurso pour diriger une de ses filiales, la société Gastier. Un homme que M. Accurso avait tenté de faire nommer à la tête du Port de Montréal, en utilisant ses contacts politiques dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Après enquête, le vérificateur Jacques Bergeron conclura que le contrat des compteurs d'eau, de 355 millions de dollars, a été accordé sans respecter les règles. Le contrat sera annulé. La Sûreté du Québec ouvrira une enquête, qui n'a toujours pas abouti.
Cette affaire aura de profondes répercussions à l'hôtel de ville. Lors de la dernière campagne électorale, le chef de l'opposition, Benoit Labonté, a d'abord nié que M. Accurso avait financé son parti, puis il a dû se retirer de la course lorsqu'il a été prouvé qu'il mentait.
Fraude fiscale
Le 8 avril 2009, coup de théâtre: le ministre fédéral du Revenu, Jean-Pierre Blackburn, déclare que des entreprises de M. Accurso sont au centre d'une enquête pour une fraude fiscale de 4,5 millions de dollars impliquant la complicité présumée de quatre employés de l'Agence du revenu du Canada.
L'homme d'affaires Francesco Bruno, propriétaire de B.T. Céramiques et d'une société à numéro, ainsi que d'autres intermédiaires envoyaient des factures de complaisance à Simard-Beaudry, Constructions Louisbourg et Hyprescon. Ces sociétés utilisaient ces factures pour gonfler artificiellement leurs dépenses et réduire d'autant leurs impôts.
Il a été révélé au cours de l'enquête que B.T. Céramiques logeait dans un immeuble appartenant aux familles de Vito Rizzuto, chef de la mafia, et de son beau-frère Paolo Renda.
Simard-Beaudry et Constructions Louisbourg se sont reconnues coupables des accusations de fraude fiscale (Hyprescon a été vendue). Après une longue enquête, la Régie du bâtiment du Québec a suspendu leurs licences pendant quatre ans.
M. Accurso reste cependant actionnaire d'un autre groupe d'entreprises, Louisbourg SBC, qui peut conserver sa licence et qui, par conséquent, peut continuer de répondre aux appels d'offres. Louisbourg SBC a ainsi obtenu de l'Agence métropolitaine de transport (AMT) un contrat de 14,5 millions pour construire une portion du train de l'Est, entre Mascouche et Montréal, sans compter de nombreux contrats avec la Ville de Montréal et d'autres municipalités.
Les accusations criminelles portées contre M. Accurso n'empêcheront pas Louisbourg SBC de garder sa licence, tant que M. Accurso ne sera pas déclaré coupable. La Régie du bâtiment a cependant le pouvoir de retirer, de suspendre ou de limiter la licence d'une entreprise lorsqu'un de ses actionnaires, peu importe le volume de ses actions, est déclaré coupable d'un geste criminel, pourvu que ce geste soit lié à des activités de construction.
Les accusations que vient d'annoncer l'escouade Marteau ne sont pas les seules auxquelles doit faire face M. Accurso. L'homme d'affaires est aussi accusé de conduite en état d'ébriété.

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André Noël30 articles

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André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a mené des enquêtes très variées.





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