L'arrestation du roi de la construction au Québec, Tony Accurso, est comme la première grosse craque bien visible d'un système pourri.
Tout d'un coup, plein de gens qui se croyaient hors d'atteinte de la justice commencent à avoir peur.
Ils sont en affaires, dans le génie-conseil, dans des firmes d'avocats bien précises. Ils ont fait élire des gens, ont ramassé des contrats, ont donné des récompenses à ceux qui contrôlaient le jeu dans des villes ou ailleurs. Ils n'appelaient pas ça «corruption», juste «faire des affaires», ou «faire de la politique».
Jusqu'ici, leur silence les protégeait mutuellement. Qui serait assez stupide pour aller dénoncer le système qui lui profite, pour s'accuser lui-même?
Ces gens-là, aujourd'hui, ont peur de ce que les autres peuvent dire. Et ils se demandent s'ils doivent parler en premier avant d'être trahis. Ils regardent le site de la commission Charbonneau de temps en temps...
La corruption est difficile à prouver à cause du silence général. Mais qu'un seul se mette à parler, et le système risque de s'écrouler. Et comme ces systèmes supposent l'implication de plusieurs joueurs, quand ils tombent, c'est en quantité: 15 hier.
Boisbriand l'an dernier. Mascouche hier. Ce n'est encore que deux villes moyennes. Mais les faits et les acteurs se ressemblent tellement que même si on ne le savait pas par mille indices, on devinerait qu'une matrice a permis d'imiter un système pourri et de le faire fleurir ailleurs.
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Non seulement Tony Accurso occupe une place centrale dans l'industrie de la construction, mais en plus il a tissé des liens innombrables avec le monde du génie-conseil, des syndicats et de la politique.
On le sait depuis quelques années impliqué dans des contrats municipaux controversés. Certaines de ses entreprises ont avoué avoir fraudé le fisc.
Mais lui personnellement n'a jamais fait l'objet d'accusations criminelles par le passé. Celles rendues publiques hier sont graves et, si elles sont prouvées, supposent un système de corruption politique bien enraciné, pas un accident de parcours.
Et comme par hasard, cette histoire de Mascouche ressemble terriblement à celle de Boisbriand, où l'ex-mairesse a également été accusée, l'an dernier.
Là aussi, des entrepreneurs en construction et des employés de deux firmes de génie-conseil ont été accusés: deux de chez Roche, dont la vice-présidente France Michaud, et deux de chez BPR.
Un de ces ingénieurs de BPR, Rosaire Fontaine, a de nouveau été accusé de fraude et de complot hier. Deux en deux!
Un autre employé de BPR, André de Maisonneuve, devra se défendre en cour criminelle. Et même leur firme, «BPR-Triax», est accusée de fraude.
On ne se souvient pas d'avoir vu une firme de génie-conseil elle-même accusée. S'ajoute à ça Jacques Audette, un avocat d'un grand burau de Montréal, Fasken Martineau, très impliqué dans les affaires municipales, et qui est maintenant accusé de fraude et d'avoir donné un pot de vin.
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Construction, élus et génie-conseil: la Sainte Trinité de la corruption au Québec. Ils sont tous représentés dans les accusations.
On voit dans la liste d'hier un homme qui organise des élections pour les libéraux depuis 50 ans, Louis-Georges Boudreault. Bien sûr, les accusations ne visent que le dossier de Mascouche. Mais j'espère qu'on va cesser de nous faire croire qu'il n'y a pas de système illégal de financement des partis politiques provinciaux.
Gilles Cloutier, un ancien haut dirigeant de Roche (une firme qui compte 1100 employés), expliquait le plus candidement du monde à Enquête la semaine dernière comment il s'y prenait pour contourner la Loi sur le financement des partis politiques du Québec. Comment il finançait le PLQ et le PQ avec des «centaines» de prête-noms, et comment cela faisait partie du développement des affaires.
«Ceux qui me traitent de menteur, c'est parce qu'ils n'ont pas décidé de parler encore», disait l'homme à Marie-Maude Denis, sur un ton serein.
Le mot important ici est «encore».
La peur étant un moteur plus fort que la morale, il suffit maintenant qu'assez de gens aient peur pour que tout un système s'écroule.
Ça tombe bien, nous avons devant nous une commission d'enquête, où les témoins pourront parler avec une immunité.
Je soupçonne que dans des boîtes comme BPR ou Roche, certains doivent être un peu nerveux ces jours-ci. Mais pas juste BPR et Roche. D'autres aussi, qui se sont amusés comme des fous dans les élections clés en main, qui ont transporté les valises de cash, qui ont profité et qui ont entretenu la pourriture des moeurs politiques et de la démocratie au Québec.
Ils dorment mal, et si cette commission d'enquête est bien menée, ils ont raison.
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