Le «système Mascouche» démantelé

Tony Accurso est sorti du quartier général de la SQ d'un pas rapide, peu avant 16h. Une horde de journalistes l'a suivi jusqu'à la rue. L'homme trapu a foncé droit devant lui, en fusillant les représentants des médias d'un regard dur et en les repoussant délicatement.

Le maire a reçu 10 voyages de "topsoil" pour sa résidence... on nous niaise ou quoi?



Vincent Larouche, Fabrice de Pierrebourg et Francis Vailles La Presse - L'escouade Marteau doit une fière chandelle à un agent infiltré civil qu'elle a envoyé en mission secrète au coeur du «système Mascouche». Grâce à son aide, elle a pu arrêter le magnat de la construction Tony Accurso et relier le maire Richard Marcotte à un vaste stratagème de corruption.
Tôt mardi matin, les policiers du bras armé de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) ont exécuté 8 perquisitions et 14 mandats d'arrêt dans le cadre du projet Gravier.
Outre Tony Accurso, les policiers ont arrêté Normand Trudel, propriétaire de la firme Transport et Excavation Mascouche et associé de M. Accurso dans la firme de décontamination Écolosol.
Les deux associés sont notamment accusés de fraude, de complot et d'abus de confiance.
Luc Tremblay, ancien directeur général de Mascouche, ainsi que plusieurs complices supposés ont aussi été épinglés. Le maire Richard Marcotte, en voyage à Cuba, échappe pour le moment à la rafle. Les policiers ont un mandat d'arrêt à son nom et pensent lui mettre la main au collet cette semaine. Il est accusé de fraude, de complot et de corruption.
L'agent infiltré a permis de donner un nouveau souffle à l'enquête, amorcée en 2010 avec la rencontre de deux plaignants. La «taupe» des policiers leur a donné accès à des suspects clés. Son travail, des perquisitions et des entrevues avec plus de 120 témoins ont aidé à bâtir un dossier étoffé.
La police a même saisi chez un entrepreneur des documents confidentiels sur le développement futur de la Ville de Mascouche. Et la Sûreté du Québec (SQ) confirme avoir suivi la trace de certains fonds jusque dans des paradis fiscaux.
«L'enquête nous a permis d'établir qu'un système avait été mis en place il y a plusieurs années afin de favoriser certaines entreprises pour le partage de contrats municipaux lucratifs. Ce système visait aussi à offrir des avantages à un élu et un fonctionnaire en échange de décisions favorables», a résumé l'inspecteur Denis Morin, patron de Marteau.
Le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, avait hâte de remplir ses engagements. «Aujourd'hui, l'UPAC lance un signal clair à l'effet que personne n'est à l'abri dans cette lutte à la corruption», a-t-il dit.
Complot et pots-de-vin
La période couverte par les accusations s'étend de 2005 à 2012. Elles concernent des actes de fraude, d'abus de confiance, d'utilisation de documents contrefaits, de complot et de corruption.
Les pots-de-vin auraient principalement été versés à Richard Marcotte par l'entremise de son ex-chef de cabinet Claude Lachapelle. Le nom de Lachapelle figure 22 fois dans les 47 chefs d'accusation, mais l'homme n'a pas été accusé.
Les «commissions ou récompenses» auraient été offertes en contrepartie d'une aide, d'un bénéfice ou d'une collaboration pour des contrats. Par exemple, Richard Marcotte et l'ex-directeur général Luc Tremblay faisaient adopter des résolutions favorisant les projets des donateurs, selon les actes d'accusation.
TopSoil et voyage en bateau
Richard Marcotte a entre autres reçu 10 chargements de terre noire (TopSoil) à sa résidence privée au cours de l'été 2008, selon l'enquête. La terre lui a été offerte gracieusement par la firme de Normand Trudel, Transport et Excavation Mascouche.
Trudel avait obtenu le contrat de déneigement des bornes d'incendie de Mascouche pour lequel il facturait jusqu'à 65 fois plus que le prix courant, avait révélé La Presse.
Richard Marcotte aurait également reçu «des cadeaux et des avantages» de la part de Tony Acccurso entre 2006 et 2008. Parmi les avantages, il est question d'un séjour sur le bateau Touch d'Accurso.
Parmi les autres donateurs allégués, mentionnons les ingénieurs André De Maisonneuve et Rosaire Fontaine, de BPR-Triax, ciblés par huit chefs d'accusation.
La firme de génie-conseil gérait le contrat de l'usine de la régie d'aqueduc intermunicipale des Moulins, dont les coûts ont bondi de 15 millions à plus de 30 millions, selon nos sources. Simard-Beaudry, entreprise de la famille Accurso, avait réalisé les travaux.
Acteurs importants
L'ex-DG de la Ville Luc Tremblay est pour sa part accusé d'avoir versé de l'argent en espèces à l'ancien candidat libéral David Grégoire en novembre 2008.
Fait surprenant, Me Jacques Audette, avocat embauché par la Ville de Montréal pour les négociations avec ses policiers, fait partie des accusés.
Autre acteur important dans cette affaire: Claude Duchesne, président de Goyette Duchesne Lemieux, entreprise de construction résidentielle. L'homme est visé par six accusations, dont fraude et complot. Lui aussi aurait versé une récompense destinée au maire.
BPR-Triax et Transport et Excavation Mascouche sont aussi accusées au criminel.
Toutes les personnes arrêtées ont été relâchées sur promesse de comparaître. Accurso est sorti du quartier général de la SQ d'un pas rapide mais déterminé, peu avant 16h. Une horde de journalistes l'a suivi jusqu'à la rue, où l'attendait un chauffeur dans une petite BMW bleue. L'homme trapu a foncé droit devant lui, en fusillant les représentants des médias d'un regard dur et en les repoussant délicatement. Il s'est refusé à tout commentaire.
Le dossier se déplacera maintenant vers les tribunaux. Le plus grand défi pour les procureurs sera de prouver hors de tout doute le lien entre les cadeaux offerts et les avantages reçus. Les autorités se sont d'ailleurs intéressées au cours de leur enquête à d'autres entrepreneurs et à un politicien pour qui ils n'ont pas encore trouvé de preuve justifiant des accusations.
- Avec Charles Côté et David Santerre


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