Commission Charbonneau: la GRC refuse de collaborer

Dans le cas de la commission Charbonneau, il ne s'agit nullement d'enquêter sur la GRC, ni même sur ses policiers. Il s'agit d'obtenir des documents d'enquête.

Refus de la GRC - la parade imprévue de la mafia? Mais que faisons-nous encore dans ce pays?




Tandis que les autres corps de police acceptent volontiers de collaborer avec la commission Charbonneau, la police fédérale lui ferme ses portes.
La Gendarmerie royale du Canada refuse de fournir les documents d'enquête que demandent les procureurs de la commission d'enquête sur l'industrie de la construction au Québec.
La commission a envoyé des subpoenas pour forcer les policiers de la GRC à livrer ces documents dès demain - on voit que ce pouvoir qui n'était pas dans la première mouture de la commission n'est pas inutile.
Mais la police fédérale a réagi en déposant vendredi une requête pour faire annuler ces ordres.
La juge Guylaine Beaugé, de la Cour supérieure, entendra aujourd'hui la requête de la GRC. Elle aura la délicate tâche de décider de la validité de l'ordre émis par sa collègue France Charbonneau, temporairement commissaire et présidente de la commission.
La commission veut en particulier récupérer pour les analyser les dizaines de milliers de pages de l'Opération Colisée, la plus vaste enquête antimafia de l'histoire canadienne.
L'Opération Colisée
L'enquête, menée par la GRC, avait également mis à contribution le travail d'enquêteurs de la police de Montréal et de la Sûreté du Québec.
L'enquête a donné lieu à l'arrestation du parrain Nick Rizzuto, assassiné peu de temps après sa sortie de prison. Plusieurs autres dirigeants de la mafia sicilienne ont également été arrêtés et condamnés, dont Francesco Del Balso.
L'enquête portait essentiellement sur le trafic de stupéfiants et le blanchiment d'argent par la mafia.
Mais pendant les années d'écoute et de filature, les policiers ont observé un grand nombre de liens entre le milieu criminel et le monde de la construction.
On a vu notamment l'entrepreneur Frank Catania fréquenter Nick Rizzuto. Rizzuto comptait l'argent de ses «affaires» devant lui et a participé à un cadeau pour sa retraite. Plusieurs autres entrepreneurs ont été aperçus frayant avec la mafia. Mais comme cela n'était pas relié à l'enquête principale, qui a duré cinq ans, tout ça a été mis de côté.
Huit ans plus tard, à la lumière des révélations sur la corruption et l'infiltration criminelle dans cette industrie, ces informations prennent une tout autre valeur. Elles pourraient mener la commission sur des pistes importantes.
Mais voilà, la GRC se réfugie derrière son statut d'agence fédérale pour affirmer qu'elle n'est pas soumise aux pouvoirs d'une commission d'enquête provinciale.
À la fin des années 70, le gouvernement du Parti québécois avait mis sur pied une commission d'enquête sur les agissements illégaux de la GRC au Québec envers le mouvement souverainiste.
Une bataille constitutionnelle féroce a immédiatement commencé et la Cour suprême a été appelée trois fois à rendre jugement au sujet de la commission Keable.
La Cour suprême
La Cour suprême avait conclu que «le personnel de la Gendarmerie royale ne jouit d'aucune immunité contre le pouvoir des autorités provinciales appropriées de faire enquête». Mais les autorités provinciales ne peuvent prendre prétexte de ce pouvoir pour enquêter sur la gestion et l'administration de la police fédérale.
Il s'agit donc de vérifier quel est l'objet de la commission d'enquête, et ce qu'on demande à un policier, pour déterminer la légalité de l'ordre de la commission.
Dans le cas de la commission Keable, qui demandait la production des manuels et des documents de régie interne de la GRC, il apparaissait clair qu'elle voulait enquêter sur le corps de police fédérale lui-même. La Cour suprême l'en a empêchée: seule une commission fédérale a ce pouvoir (la commission McDonald allait d'ailleurs être créée ensuite par Ottawa).
Des précédents
Dans le cas de la commission Charbonneau, il ne s'agit nullement d'enquêter sur la GRC, ni même sur ses policiers. Il s'agit d'obtenir des documents d'enquête. D'autres commissions d'enquête provinciales ont déjà réussi à contraindre la GRC à lui remettre des documents ailleurs au Canada.
La juge Beaugé devra d'abord décider s'il y a lieu d'émettre un sursis pour suspendre l'application du subpoea, le temps de débattre la question.
Comme des questions constitutionnelles sont soulevées, le débat pourrait s'éterniser.
La commission a prévu entendre ces premiers témoins à la fin du printemps ou au début de l'été.


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